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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/312

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cette noblesse de pensée, indispensables aux jouissances intellectuelles.

Parmi les prolétaires, beaucoup, bien que laborieux et probes, ont été élevés dans l’ignorance, dans la grossièreté, déshérités de cette éducation libérale qui seule élève, raffine les instincts et donne le goût des délassements choisis, des récréations délicates.

Qu’arrive-t-il ? après une semaine de contrainte, de privations, de labeur, ils cèdent à un naturel et irrésistible besoin de plaisir.

Emportés par l’ardeur de la jeunesse, par une sorte de fièvre d’expansion, ils se ruent avec une fougueuse impatience dans les seuls lieux d’amusements ouverts à leur pauvreté !

Alors d’horribles cabarets où se vendent du vin empoisonné, des mets nauséabonds, et des filles infectées, se remplissent d’une foule frémissante ; à l’entour de ces bruyantes tavernes surgissent de toute part, des tréteaux, des bateleurs, et là, au milieu de scènes ignobles, dégradantes, tout ce qu’il y a de digne, de respectable dans l’homme, est raillé, est insulté en langage des halles. Plus loin, ce sont des chanteurs, et, parmi eux, vieillards, femmes ou enfants, chacun rivalise d’impudeur et de chants obscènes, pour exciter la gaieté brutale des buveurs attablés.

Toutes ces passions irritées, déchaînées, grondent bientôt comme un orage, à peine dominé par les éclats du clairon des saltimbanques, par le roulement de leurs tambours, par la volée de leurs cloches qui appellent les spectateurs. Une poussière suffoquante, fétide, tourbillonne et jette une sorte de brume sur cette grande orgie du paupérisme.

La nuit vient ; de rouges lumières illuminent ces figures avinées, incandescentes ; c’est alors un redoublement de cris, de chants cyniques, de joie brutale ; l’ivresse grondait sourdement depuis longtemps ; elle éclate enfin !

Aux accents d’une hilarité grossière, succèdent les injures, les menaces, puis les brutalités, les violences ; souvent le sang coule. Ces visages naguère joyeux et empourprés par l’ivresse, deviennent livides, ici meurtris, ailleurs sanglants, ou souillés de boue ; ce ne sont plus des hommes, ce sont des bêtes féroces, ce sont des fous furieux. L’effrayante action du vin empoisonné qu’on leur vend, jette ces malheureux dans la frénésie… Parfois leurs femmes, leurs enfants, tremblants, éplorés, sont témoins de ces horribles scènes ; des femmes, des jeunes filles, après avoir eu tout le jour la vue et les