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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/311

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Mais malheureusement tous les prolétaires ne sont pas, ne peuvent pas être doués de cette énergie stoïque…

Il en est aussi beaucoup que l’ignorance hébète, que la misère dégrade, que l’inespérance étourdit et égare, ceux-là cèdent aux funestes enchantements de l’ivresse, où ils trouvent l’oubli de leurs maux… d’autres, enfin, plus dégradés encore, et ceux-là sont peu nombreux, aiment l’ivresse pour l’ivresse.

Ceux-là sont blâmables… Mais ceux-là le sont doublement, qui condamnent sans pitié ces malheureux à cette ignorance, à ce dénûment, à cette inespérance, causes premières, causes fatales du déplorable vice où ils trouvent l’abrutissement, la maladie, la mort…

D’autres raisons moins désolantes, mais de conséquences non moins fatales, poussent encore à l’ivrognerie les victimes du paupérisme.

Évidemment, après une semaine de rudes travaux, l’homme éprouve l’impérieux besoin du repos, du délassement, du plaisir.

Il est, parmi les prolétaires, des hommes qui, rompus par l’habitude d’une résignation austère, ou affaiblis par les privations, trouvent, dans l’apathique repos du corps et de la pensée où ils sommeillent le dimanche, une compensation suffisante aux durs labeurs de la semaine.

D’autres sont doués d’une certaine instruction, d’une délicatesse de pensées, d’une finesse d’aptitudes que n’a pu briser le faix écrasant des travaux manuels.

Parmi ceux-là, les uns cherchent chaque dimanche un délassement et un plaisir dans la lecture des poëtes ou des penseurs ; les autres se récréent, se délassent dans l’intelligente contemplation des chefs-d’œuvre de l’art exposés au public ; ceux-ci se complaisent dans la reconnaissante admiration des beautés de la nature, sachant la trouver adorable, splendide, et dans son immensité, et dans ses plus petites créations ; ils restent également charmés, ou religieusement émus, par la vue des éblouissantes magnificences d’un radieux coucher de soleil, par l’aspect du scintillement des mondes, par une belle nuit d’été, ou par l’examen curieux d’une petite touffe de fleurs agrestes, ou d’un insecte au corselet d’or et d’émeraudes et aux ailes de gaze.

Mais forcément, ils ne sont pas très-nombreux ceux-là qui, malgré les soucis, les fatigues d’une condition toujours laborieuse, rude, précaire, souvent déplorable et abrutissante, peuvent acquérir ou conserver cette finesse de perception, cette fraîcheur d’impressions,