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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/329

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— Ce gaillard a été gâté par la fréquentation du Nil, — dit la Levrasse d’un air capable ; — il ne peut plus souffrir d’autre fleuve… Aristocrate ! va ! — ajouta-t-il en se tournant vers la boîte.

— Ah ! monsieur la Levrasse, dit le charretier en hochant la tête, — quelles fameuses recettes vous allez faire sur toute la route ! À chaque village, à chaque bourg, à chaque ville, mon haquet était suivi d’une vraie queue de monde. — Ah ! un homme-poisson !… un homme-poisson !… ça doit être farce et curieux ! — que chacun disait, en lisant votre écriteau. — Oui, mes amis, — que je répondais, — je le conduis à M. la Levrasse dont il est la propriété, et comme il repassera par ici avec sa troupe, vous verrez l’homme-poisson.

La Levrasse interrompit le voiturier.

— Tu as passé à Saint-Genêt ? — lui dit-il.

— Oui, bourgeois.

— Et ma commission ?

— J’ai remis votre lettre. Ah ! bourgeois, c’est à fendre l’âme ; le charron est quasi moribond.

À ces mots, mon attention redoubla ; Bamboche avait complété ses confidences, en me disant le nom du village où demeurait le pauvre charron, père de la petite Jeannette, la future Basquine de la troupe.

— Ainsi c’est vrai, le charron est bien malade ! — s’écria la Levrasse, sans pouvoir dissimuler sa joie. — Sa femme ne m’avait pas trompé dans sa lettre ; et elle, l’as-tu vue, la femme ?

— Oui, toujours infirme et alitée de son côté. Ah ! bourgeois, c’est à fendre le cœur que de voir ce père et cette mère malades, entourés de ce troupeau d’enfants déguenillés et mourant de faim.

— Tu vois ! le charron est moribond, — répéta la Levrasse d’un air pensif en regardant la mère Major.

— C’est ce qui te prouve, — dit celle-ci, — qu’il faudra nous dépêcher de partir d’ici.

— Oui, oui, le plus tôt sera le mieux, — répondit la Levrasse.

Cette détermination de la Levrasse me causa une grande joie. Bamboche serait si heureux d’apprendre que bientôt il verrait Basquine ! Dès lors ma seule pensée fut de chercher le moyen de parvenir auprès de mon compagnon, afin de lui annoncer une si heureuse nouvelle.

La Levrasse s’adressant au voiturier, lui mit quelque argent dans la main en disant :