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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/46

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d’amertume que de frayeur ; — mais, Dieu merci | je vois la route qu’ils ont prise… Ils ont tourné à gauche, et…

M. Dumolard ne put continuer ; son cheval, lancé au petit galop, s’arrêta brusquement sur ses jarrets ; la réaction de ce mouvement inattendu fut si violente, que M. Dumolard, jeté sur ses arçons, faillit passer pardessus la tête de son cheval.

Il se remit en selle en maugréant, et s’aperçut de la cause qui avait si soudainement interrompu le galop de son cheval ; il s’agissait d’un large fossé d’assainissement, parfaitement construit ; huit pieds de largeur, avec hautes berges évasées et six pieds de profondeur ; ledit fossé coupait la futaie dans toute sa largeur.

À la vue de cette large ouverture béante, qui interceptait son passage, le désespoir s’empara de M. Dumolard ; il aperçut aux versants de la berge l’empreinte du pied des chevaux des autres chasseurs, qui avaient franchi cet obstacle. M. Dumolard ne pouvait plus espérer de les rejoindre ; il eût préféré la mort à tenter le formidable saut du fossé. Retourner sur ses pas, c’était s’éloigner davantage encore des chasseurs, et déjà le soleil déclinait sensiblement : l’on se trouvait dans ces courtes journées d’équinoxe, où la nuit succède au jour presque sans transition.

— C’est jouer à me faire égorger par ce bandit, — dit M. Dumolard en gémissant. — Avec ça, ces maudits habits rouges sont si voyants !… Il m’apercevra d’une lieue… mais c’est affreux… Appeler à moi… c’est attirer le brigand, s’il est dans ces parages… Voyons, suivons le fossé… sa berge peut aboutir à un sentier.

Et M. Dumolard suivit piteusement le revers du fossé jusqu’à un endroit où il faisait un coude, prolongeant un taillis de chênes impénétrables ; s’engager dans ce sombre fouillis de branches croisées, entrelacées, où aucun chemin n’était frayé, semblait à M. Dumolard presque aussi effrayant que de sauter l’énorme fossé, car, pour percer dans un pareil fort, il faut s’abandonner à l’instinct et à l’adresse de son cheval, baisser la tête, la protéger avec son coude et marcher aveuglément.

Malgré la frayeur que lui causait cet expédient, M. Dumolard, voyant la nuit approcher, et réfléchissant que, s’il restait ainsi, vaguant sous cette futaie claire, son maudit habit rouge le ferait peut-être apercevoir de loin, et attirerait le brigand à ses trousses, M. Dumolard de deux maux choisit le moindre et tenta de faire une trouée à travers le taillis, dans l’espoir de rejoindre les chas-