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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/47

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seurs : bientôt on entendit dans cette enceinte un brisement de branches aussi formidable que si un sanglier eût traversé cet épi fourré.

Abandonnons M. Dumolard aux hasards de sa tentative, et expliquons en deux mots le prodige que l’on attendait de ce chien renommé, à la voix duquel les chasseurs s’étaient dirigés du côté de la tanière du braconnier.

Après avoir, ainsi que les autres chiens de la meute, en vain cherché de tous côtés à retrouver la voie du renard, le digne Lumineau, instruit par l’expérience, servi par son merveilleux instinct, s’était livré à ce raisonnement logique, à savoir : que le renard étant souvent assez rusé pour faire des bonds énormes, afin d’interrompre sa voie et de mettre ainsi dans l’embarras d’honnêtes chiens courants qui ne chassent que pour l’honneur, leur ambition se bornant à prendre le renard et à l’étrangler (sa chair leur inspirant une répugnance invincible), ces braves chiens, afin de retrouver les traces du traître, incapable, après tout, de s’être évanoui dans les airs, devaient s’éloigner peu à peu de l’endroit où ils perdaient ses traces, en décrivant des cercles de plus en plus grands, bien sûrs de rencontrer ainsi la piste du fugitif. En effet, malgré l’énormité des deux ou trois bonds grâce auxquels il interrompait sa voie, le renard devait reprendre ensuite son allure ordinaire, et continuer sa route, ou à droite ou à gauche, ou en deçà ou au delà de l’endroit où sa piste s’interrompait. Or, la quête circulaire et progressive des chiens, embrassant un rayon de plus en plus étendu, devait invariablement, à un endroit donné, avoir pour point d’intersection la passée de l’animal.

Cette manœuvre s’appelle en langage de vénerie prendre les grands-devants et les arrières.

Pratiquant aussitôt cette excellente théorie et abandonnant le vulgaire de la meute qui quêtait et requêtait vainement au même endroit, Lumineau interrogea le sol du bout de son nez, commença de décrire au galop des cercles de plus en plus étendus, et ainsi arriva d’abord jusqu’à la clairière, qu’il traversa, puis jusqu’aux roches, parmi lesquelles se trouvait la trappe chargée de pierres et de ronces qui masquait l’entrée de la tanière où Bamboche s’était réfugié. Le renard, on s’en souvient, n’avait fait que se reposer une seconde à peine sur ces pierres afin de prendre un nouvel élan ; mais grâce à la subtilité de l’odorat de Lumineau, l’âcre émanation frappa