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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/53

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de M. Duriveau ; cependant, l’un d’eux, vieillard à tête blanche, répondit timidement, à propos de la fainéantise du dimanche :

— Le bon Dieu s’est reposé un jour sur sept… monsieur le comte ; le pauvre monde peut bien aussi…

— Assez, — dit M. Duriveau avec hauteur. — Je vais faire ce que pas un de vous n’ose faire, c’est tout simple.

Et autant par véritable courage que pour prouver sa supériorité de valeur sur ces gens qu’il considérait sincèrement comme d’une espèce inférieure à la sienne, le comte, malgré les prières de Mme Wilson et celles de Raphaële, qui joignait sa voix à celle de sa mère, entra résolument et sans armes dans le souterrain, après avoir, d’un geste impérieux, défendu à Latrace de le suivre.

Soit que M. Duriveau n’eût pas songé à ordonner à son fils de rester en dehors, soit qu’il comptât sur son concours, il fut suivi par Scipion ; celui-ci prit seulement le temps d’allumer un troisième cigare, et marcha sur les pas de son père, avec ce flegme railleur qui le caractérisait, après avoir dit à Mme Wilson :

— Ah çà… priez pour nous… voyons : un chœur… quelque chose dans le genre de la Prière de Moïse.

Et battant machinalement ses bottes poudreuses du bout de son fouet de chasse, il suivit insoucieusement les traces du comte.

Après avoir descendu huit ou dix marches grossièrement tallées dans la terre, le père et le fils se trouvèrent au milieu d’une grotte assez spacieuse, creusée naturellement au milieu des roches, dont la partie supérieure s’élevait en masses abruptes au milieu du taillis. Parmi ces rocailles extérieures, le hasard ou la main de l’homme avait ménagé une ouverture à demi voilée par le lierre et par les ronces ; elle communiquait à la tanière et lui donnait suffisamment d’air et de jour. Ce rayon lumineux, joint à la pâle clarté d’une petite chandelle de résine, jetait une lueur étrange, funèbre, à la clarté de laquelle le comte Duriveau aperçut un tableau qui le fit tressaillir et reculer d’un pas.

Bamboche, aussi, avait tressailli d’émotion à la vue du même tableau ; mais, à cette émotion, s’était joint, chez le fugitif, un souvenir qui l’avait frappé de douleur et d’épouvante.

Au fond de la grotte, exhaussé sur une sorte de plate-forme faite de pierres amoncelées, on voyait un berceau tressé en jonc des marais, et, dans ce berceau, jonché de fraîches bruyères d’un rose vif, un petit enfant mort tout récemment ; sa pose était si calme,