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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/52

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dureté envers ses métayers, l’implacable rigueur dont il poursuivait la punition de la moindre atteinte à ses droits de propriétaire ; puis sa parole impérieuse, ses manières hautaines, sa physionomie sévère, inspiraient à tous l’éloignement ou l’effroi ; aussi, au lieu d’écouter la prière de Mme Wilson et d’entourer le comte au moment où il se disposait à pénétrer dans le repaire, l’un des paysans dit à demi-voix :

— Si M. le comte veut arrêter à lui tout seul le brigand : qu’il l’arrête… nous n’y tenons pas, nous autres.

— Je le sais bien, poltrons, — répondit dédaigneusement M. Duriveau.

— Poltron… dame… — dit un pauvre diable aux lèvres blanches, aux traits altérés par les terribles fièvres du pays, — dame… poltron… que le brigand me mette à mal, ça sera pour moi ; ma femme et mes enfants en pâtiront… ils n’ont que moi.

— Oh ! la race lâche et abrutie ! — dit le comte avec un mépris amer. — Dans tout ceci, ils n’ont vu que l’occasion de venir hurler en bande, saccager mes bois, effaroucher mon gibier ou en voler au gîte, s’ils le pouvaient… C’est une journée de fainéantise et de désordre ; les voilà contents !

— Ce n’est pas pour notre plaisir que nous sommes ici, monsieur le comte, — dit timidement un paysan ; — M. le maire nous a requis au nom de la loi… et, pour le pauvre monde comme nous… journée sans travail… journée sans pain.

— Vraiment ? C’est donc pour cela que, le dimanche, vos cabarets regorgent d’ivrognes, — répondit le comte avec un redoublement de dédaigneuse ironie. — Si, faute de travail, le dimanche est un jour sans pain, ce n’est pas, du moins, pour vous, un jour sans vin ; car vous vous enivrez comme des brutes. Allons donc ! autrefois j’étais assez niais pour être dupe de vos piteuses doléances ; maintenant je vous connais…

— C’est mieux, — dit Scipion à son père, — tu remontes dans mon estime ; mais tout à l’heure, tu tournais au Prud’homme d’Henri Monnier… tu devenais diablement chausson de lisière

Ces paysans pacifiques et débonnaires, rompus d’ailleurs à bien des humiliations, par la misère, par une déférence forcée envers ceux qui les exploitent, et aussi par le manque de dignité de soi, conséquence inévitable de l’asservissement et de l’ignorance, ces paysans écoutèrent avec tristesse, mais sans colère, les durs reproches