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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/81

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fleurs roses ; au bord fangeux des marais se développent en gerbes les feuilles lancéolées des iris aux fleurs d’or, ou les tiges des grands roseaux à aigrettes brunes ; la mousse renaissante couvre de son velours et de ses reflets d’émeraude les tuiles et le chaume des toitures à demi effondrées ; les crevasses des masures en ruine disparaissent sous les plantes paritaires, parmi lesquelles serpente le thyrse gracieux du liseron aux clochettes blanches et bleues. Enfin, les quelques grands chênes qui au nord abritent la métairie sont d’une verdure luxuriante.

Alors, à la vue de ces masures réfléchies par l’eau stagnante du marais et enfouies au milieu des bruyères roses, des iris fleuris et des grands arbres verdoyants, l’optimiste crie au paysage !… à la fabrique !… au pittoresque !… et il hausse les épaules de pitié si on lui parle de l’horrible condition des gens condamnés à vivre dans un lieu qui, selon l’optimiste, ferait un si délicieux tableau.

Seulement, si l’optimiste amateur de couleur et de paysage prolongeait quelque peu son séjour dans ce site d’un effet si pittoresque, il s’apercevrait bientôt que l’ardeur du soleil faisant fermenter les masses de fumier humide qui encombrent la cour, il s’en exhale une odeur putride qui infecte l’habitation déjà privée d’air, pendant que la fange du marais, attiédie par les feux de la canicule, répand des miasmes délétères, non moins funestes que les épais brouillards dont il est couvert durant l’automne et l’hiver.

Oui, car l’on ignore ou l’on oublie que si, grâce à l’inépuisable profusion de la nature, ces pauvres demeures où s’abrite la population agricole sont, durant une courte saison, ornées au dehors d’une humble et agreste parure, l’intérieur de ces masures et la condition de ceux qui les habitent offrent en tout temps l’un des plus douloureux aspects qui puissent contrister le cœur.

Et nous disons que le sort, que la santé, que la vie de milliers de créatures de Dieu ne doit pas dépendre de la bonne ou mauvaise volonté, du bon ou de mauvais cœur d’un seul homme, sous le prétexte qu’il est détenteur d’une partie du sol d’un pays.

Ainsi… M. Duriveau, ou, après lui, son fils, est propriétaire de deux ou trois lieues de territoire. Par l’incurie, par l’ignorance, par l’égoïsme ou par l’avarice de cet homme, par sa faute, enfin, cette parte du sol qu’il possède, et que de nombreuses familles de travailleurs habitent, est abandonnée à l’action homicide des eaux stagnantes, qui, écoulées, utilisées par de grands travaux d’assainissement, pourraient fertiliser, féconder ce sol, qu’elles frappent de stérilité