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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/126

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

L’hiver de 1610-11 avait été très dur à Port-Royal. Poutrincourt, s’étant vu avec vingt-trois personnes sans provisions suffisantes, avait été obligé d’en congédier plusieurs qui allèrent vivre parmi les Sauvages. « Aux autres, le pain avait manqué six ou sept semaines durant, dit le Père Biard, et, sans l’assistance des mêmes Sauvages, je ne sais si tout ne leur eut misérablement failli. Or, le secours que nous leur apportions n’était quasi qu’un verre d’eau à un bien altéré : premièrement, parce que nous étions trente-six en équipage, lesquels ajoutez à vingt-trois hommes qu’il y avait, cinquante-neuf bouches se retrouvaient, tous les jours, à table (à Port-Royal), et Membertou, le Sauvage, par dessus, avec sa fille et sa sequelle. »

Au milieu de juin 1611, Poutrincourt repassa en France dans les intérêts de sa colonie, que les changements survenus à la suite de la mort du roi pouvaient compromettre. On se tromperait en assimilant ce gentilhomme aux vulgaires entrepreneurs d’établissements qui n’avaient pour tout principe que d’édifier leur fortune sur les priviléges dont la cour les dotait. Ses vues étaient plus élevées, et quoique, en somme, il n’ait pas laissé derrière lui une colonie très florissante, il mérite tous ces égards que l’historien doit au fondateur dont l’esprit était droit et désintéressé.

Avec lui, retourna en France M. Fléché, « selon le désir qu’il avait depuis longtemps, » écrit le Père Biard. Il ramenait aussi autant de monde que possible, n’ayant pas de quoi les nourrir. Son fils, Jean de Biencourt, restait à Port-Royal avec les Pères Biard et Massé et dix-neuf autres personnes. À la fin d’août, Poutrincourt était rendu à destination.

« Les hommes étaient, d’ailleurs, habitués désormais au pays et déterminés à rester ; Poutrincourt avait mesuré et distribué à chacun des terres dont le lotissement fut si bien conservé, qu’en 1685, on montra encore à M. de Meulles les titres signés de sa main. Il manquait encore, cependant, dans la colonie, une chose essentielle : la famille n’était pas constituée ; il ne paraît pas, en effet, que, jusqu’à ce moment, il eût été amené aucune femme ni enfant, sauf la famille elle-même de Poutrincourt, qui était alors à Port-Royal, comme l’affirme positivement le Père Biard, dans sa lettre du 31 janvier 1612. Quant à tous les autres colons, ils étaient tous des engagés célibataires, et un des motifs du bon seigneur, dans son voyage en France, était précisément de ramener quelques hommes mariés avec leur ménage, afin de donner ainsi à la colonie le dernier caractère d’une fondation durable et définitive ; malheureusement, les circonstances ne devaient pas lui permettre d’accomplir lui-même ce sage dessein. » (Rameau.)

Madame de Guercheville continuait de recueillir des offrandes destinées au secours des missions de la Nouvelle-France. Poutrincourt la trouva donc toute préparée à se joindre à sa société, qui, disait-il, aurait pour but d’activer ce mouvement. Elle était disposée à donner mille écus pour l’armement d’un navire, moyennant quoi elle partagerait dans les profits que ce navire rapporterait, et aussi dans les terres que le roi concéderait, plus tard, à Poutrincourt ; mais celui-ci se prétendait déjà seigneur et maître d’un vaste territoire qu’il voulait garder pour lui seul. Appelé à exhiber ses titres, il n’en put rien faire, et madame de Guercheville se