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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/127

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

retourna du coup vers le sieur de Monts[1], qui consentit à lui céder tous ses droits en la Nouvelle-France, car il tenait de Henri IV une patente qui était encore en vigueur. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Poutrincourt s’était enferré. Les lettres royales qui confirment cet arrangement accordent à madame de Guercheville toutes les terres de la Nouvelle-France, depuis le fleuve Saint-Laurent jusqu’à la Floride, ne réservant à Poutrincourt que le seul Port-Royal.

Antoinette de Pons, pieuse et belle, disent les chroniques du temps, s’était fait remarquer par son mérite et sa piété, au milieu de la cour dissolue de Henri III. Le marquis de Guercheville, son mari, étant mort, le roi Henri IV avait eu pour la jolie veuve une passion assez prononcée. Il comptait bien emporter la place aussi lestement qu’il prenait les villes ; mais, cette fois, la vertu et la dignité de la sujette firent échec au roi. « Sire, lui dit-elle, mon rang ne me permet pas d’être votre femme ; j’ai trop de cœur pour devenir votre maîtresse, » réponse d’autant plus belle que la noblesse se faisait souvent une gloire de ce honteux commerce. Et, sans plus de paroles, la marquise se retira à son château de La Roche-Guyon, sur la Seine, à dix lieues de Paris, où elle menait un train princier. Henri IV poussa, un jour, une partie de chasse de ce côté, et, sur la fin de la journée, il envoya un gentilhomme demander le couvert pour lui et quelques-uns des siens, prétextant qu’il était trop loin de la capitale pour y retourner sans avoir pris du repos. Madame de Guercheville l’accueillit avec empressement, fit illuminer le château, commanda un souper somptueux, se rendit aimable et prévenante comme une bonne et fidèle amie, lui déclara qu’il commandait absolument chez elle, etc., et monta en voiture pour aller coucher, à deux lieues de là, chez une personne de sa connaissance. L’aventure fit du bruit. Plus tard (1594), la marquise épousa, en secondes noces, Charles du Plessis, seigneur de la Rochefoucauld, comte de Beaumont, chevalier des ordres du roi, premier écuyer de Henri IV, et, en cette occasion, elle joua au roi une nouvelle pièce en refusant de prendre un nom qui avait appartenu à la célèbre Gabrielle. Gabrielle d’Estrée avait été fiancée, d’autres disent mariée avec Nicolas d’Armeval, seigneur de la Rochefoucauld-Liancourt. En 1599, Gabrielle mourut. L’année suivante, Henri divorça avec Marguerite de Valois (la reine Margot), et épousa Marie de Médicis. En mémoire de la conduite de madame de Guercheville (elle ne portait que ce nom), il voulut que celle-ci, dont l’époux était gouverneur de Paris, occupât l’un des tabourets placés autour de la reine dans les réunions d’éclat. Ce fut la première dame qu’il présenta à Marie de Médicis, lui disant : « Je vous présente une dame d’honneur qui est en vérité une dame pleine d’honneur. »

À quelque temps de là, madame la connétable de Lesdiguière, une coquine fieffée, fut introduite à la cour ; le rang de son mari lui donnait un tabouret : un tabouret d’un ou deux degrés au-dessus de celui de madame de Guercheville. Or, Malherbe, le poète, qui ne manquait pas les occasions de placer une épigramme, se trouva, un jour, dans une fête où la reine figurait.

  1. Peu auparavant, elle avait refusé de placer de l’argent dans l’entreprise de de Monts et Champlain au Canada.