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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Arontal fut émerveillé de ce qu’il vit à Québec. On lui expliqua qu’il était question de fonder un semblable établissement au saut Saint-Louis, afin d’y attirer ses compatriotes et leur procurer un lieu de refuge contre les Iroquois. « Il me dit, ajoute Champlain, qu’il ne mourrait jamais content qu’il ne vît tous ses amis, ou du moins bonne partie, venir faire leur demeurance avec nous, pour apprendre à servir Dieu, et la façon de notre vie qu’il estimait infiniment heureuse au regard de la leur. » Cinq ou six jours après, il reprit, fort satisfait, la route de son pays.

On s’occupa d’augmenter l’habitation de Québec « du tiers pour le moins. » Ayant trouvé de bonne pierre à chaux dans le voisinage, et aussi du sable convenable, un four à chaux fut établi à droite de la côte actuelle qui borde la rue de la Montagne, à peu près au dessous de l’endroit où est placé le parlement.

Le sieur de Monts avait donné des arbres fruitiers, tirés de la Normandie ; on avait apporté des légumes variées, des grains, des herbes potagères, et tout cela prospérait à ravir autour de l’habitation, contrairement à l’opinion de ceux qui ne croyaient pas aux vertus agricoles du Canada. Champlain détacha des échantillons de tous ces produits et les emballa pour les montrer au prince de Condé et à ses autres protecteurs.

Ceci fait, on délibéra sur la situation à venir. Les Pères Jamay et Le Caron décidèrent de repasser en France, afin d’y représenter à qui de droit les besoins de la mission, ce à quoi Champlain se prêta avec empressement ; car il partageait les motifs qui faisaient agir les Pères, et cherchait, lui aussi, depuis longtemps, à arracher aux membres de la compagnie de traite un peu plus de liberté pour arriver à l’évangélisation, et, si possible, à la réunion des Sauvages en bourgades disciplinées, ce que le Père Le Clercq explique très bien. À cette assemblée se trouvaient, outre Champlain et les Pères, « six autres personnes des mieux intentionnées. » Celles-ci ne pouvaient être des colons cultivateurs : il n’y avait pas encore de terres concédées à Québec ; toutefois, il est bon de remarquer que le nombre de gens qui prenaient un si légitime intérêt à la colonie commençait à augmenter. Jusque là, de tous ceux qui hivernaient sur le Saint-Laurent, Champlain paraît avoir été le seul qui eût compris la valeur de l’habitant. Les Récollets entraient dans les mêmes vues.

Le Père Le Clercq, écrivant soixante ans plus tard, dit que les huguenots avaient, à cette date, la meilleure part du commerce du Canada. Champlain ne va pas si loin. Le prince de Condé protégeait sans doute les huguenots, sur lesquels il comptait, en France, pour se créer des partisans politiques ; toujours mêlé à quelques conspirations, ce grand seigneur caressait l’espoir de monter au pouvoir, et il ne devait pas trop hésiter, en effet, pour accorder des faveurs à ceux dont il espérait se servir un jour.

L’assemblée de Québec décida qu’il fallait se soustraire à l’influence des marchands, et même elle demanda qu’on excluât les calvinistes de toute la contrée, afin de pouvoir être libre du côté de la colonisation et des missions sauvages. Si l’on obtenait des laboureurs, disait-on, le pays se peuplerait vite ; et si la liberté des missionnaires était assurée, on parviendrait à civiliser les Sauvages. Les considérations, aussi élevées que raisonnables,