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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/55

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Qui eût dit alors à Champlain qu’un jour ce nom de Québec serait inséparable du sien ! Le site devant lequel il passait sans pressentiment était destiné à devenir le cœur d’une colonie immense et à laisser dans l’histoire de l’Amérique du Nord une trace que peu de villes célèbres de l’ancien monde ont marquée dans les annales de leur temps.

De Québec aux Trois-Rivières, il décrit minutieusement les bords du fleuve, sans parler des lieux où pourraient être placés des forts, comptoirs, ou habitations, non plus qu’à Québec.

« Aux Trois-Rivières, il commence d’y avoir température de temps quelque peu dissemblable à celui de Sainte-Croix[1] d’autant que les arbres y sont plus avancés qu’en aucun lieu que j’eusse encore vu… En cette rivière[2], il y a six isles[3], trois desquelles sont fort petites, et les autres de quelque cinq ou six cents pas de long, fort plaisantes et fertiles pour le peu qu’elles contiennent. Il y en a une au milieu[4] de la dite rivière qui regarde le passage de celle[5] de Canada et commande aux autres[6] éloignées de la terre, tant d’un côté que de l’autre, de quatre à cinq cents pas. Elle est élevée du côté du sud[7] et va quelque peu en baissant du côté du nord[8]. Ce serait, à mon jugement, un lieu propre à habiter, et pourrait-on la fortifier promptement, car sa situation est forte de soi, et proche d’un grand lac[9] qui n’en est qu’à quelque quatre lieues ; lequel[10] joint presque la rivière du Saguenay, selon le rapport des Sauvages, qui vont près de cent lieues au nord et passent nombre de sauts, puis vont par terre quelques cinq ou six lieues et entrent dans un lac[11] d’où le dit Saguenay prend la meilleure part de sa source, et les dits Sauvages viennent du dit lac à Tadoussac. Aussi que l’habitation des Trois-Rivières serait un bien pour la liberté de quelques nations[12] qui n’osent point venir par là, à cause des Iroquois leurs ennemis, qui tiennent toute la dite rivière de Canada bordée ; mais étant[13] habité, on pourrait rendre les dits Iroquois et autres Sauvages amis ; ou à tout le moins, sous la faveur de la dite habitation, les dits Sauvages[14]

  1. Achelasy de Jacques Cartier, à moitié chemin entre Québec et les Trois-Rivières.
  2. Le Saint-Maurice qui, jusque vers 1700, a porté le nom de « Rivière des Trois-Rivières. » Cartier l’avait appelée Fouez ou Foix ; les Sauvages, Metaberoutine, c’est-à-dire la décharge des vents.
  3. Dans l’embouchure du Saint-Maurice. Deux d’entre elles avancent jusqu’au fleuve, ce qui donne au Saint-Maurice trois décharges ou chenaux. De là les Trois-Rivières, nom qui est antérieur aux voyages de Champlain.
  4. « Au milieu » est exact, puisque le chenal droit est aussi large à lui seul que ceux du centre et de gauche réunis.
  5. Qui regarde ou qui s’avance vers le fleuve Saint-Laurent ou rivière du Canada.
  6. Il y a tout lieu de croire, en effet, que l’île Saint-Quentin était élevée dans sa partie sud-est et que le fleuve l’a rasée au point où elle se voit de nos jours.
  7. Sud-est.
  8. Dans le Saint-Maurice, tandis que l’extrémité qui fait face au fleuve était élevée.
  9. Le lac Saint-Pierre.
  10. Il faut lire : « lequel lieu des Trois-Rivières joint presque la rivière du Saguenay par la rivière des Trois-Rivières, » car, en effet, le Saint-Maurice a ses sources sur les mêmes hauteurs que plusieurs des rivières qui se déchargent dans le lac Saint-Jean, considéré comme la source du Saguenay.
  11. Le lac Saint-Jean.
  12. Les Attikamègues, sans doute, peuple timide, qui ne descendit aux Trois-Rivières que près de trois ans après la fondation du fort (1637).
  13. « Mais ce lieu étant habité. »
  14. Les Sauvages du haut Saint-Maurice, tels que les Attikamègues.