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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome I, 1882.djvu/56

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

viendraient librement, sans crainte et danger, d’autant que le dit lieu des Trois-Rivières est un passage[1]. Toute la terre que je vis à la terre du nord[2] est sablonneuse. »

Dans toute cette première relation de Champlain, on ne trouve aucun autre projet d’établissement que celui des Trois-Rivières. Ni Tadoussac, ni Québec, ni Montréal, lieux où il s’arrête et qu’il décrit, ne paraissent lui inspirer cette pensée. Si le fondateur du Canada a d’abord été captivé par le site des Trois-Rivières, au point de vouloir y fixer la première habitation de la colonie, nous pouvons croire à bon droit que Pontgravé ne fut pas étranger à ce plan, puisqu’il avait déjà fréquenté l’endroit et que, en 1599, il engageait Chauvin à y établir un poste permanent.

Se rendre au saut Saint-Louis ; essayer, mais en vain, de le remonter ; redescendre à Tadoussac et retourner en France : telle est l’histoire du reste de la saison.

Une nouvelle accablante attendait Pontgravé à Honfleur : M. de Chaste était décédé le 13 mai. Les généreux desseins que cet homme estimable avait nourris au sujet du Canada s’évanouissaient pour la plupart. Trente ans après, Champlain disait qu’il n’avait remarqué aucun défaut dans les préparatifs de l’expédition de 1603 et de celles qui devaient la suivre, mais que la disparition du principal directeur ne permit pas d’exécuter.

Aymar de Chaste (c’est sa signature), chevalier de Malte, grand-maître de l’ordre de Saint-Lazare, commandeur de Lormeteau, ambassadeur en Angleterre, gouverneur de Dieppe, avait rendu cette place à Henri IV aussitôt après la mort de Henri III. Ce dernier prince l’avait pourvu de l’abbaye de Fécamp. La faveur dont il jouit sous son successeur le mit en état de servir la France et la religion mieux que la plupart des grands seigneurs du temps ; néanmoins, comme il était très-charitable et désintéressé, il mourut pauvre ; le cardinal de Joyeuse, archevêque de Rouen, pourvut aux frais de ses funérailles. Nous lui devons un souvenir de gratitude. Son tombeau, dans l’église de Saint-Rémi de Dieppe, est un monument assez bien conservé, que les Canadiens visitent avec respect.

Une fois à Paris, Champlain présenta au roi son rapport, accompagné d’une carte aujourd’hui perdue. Henri IV y prêta toute son attention et promit de voir au Canada. Le rapport fut imprimé, avec une dédicace au très-noble, haut et puissant seigneur messire Charles de Montmorency[3], chevalier des ordres du roi, seigneur d’Ampville et de Meru, comte de Secondigny, vicomte de Melun, baron de Châteauneuf et de Gonart, amiral de France et de Bretagne. Mais M. de Chaste n’était plus !

Le sort du Canada était bien aventuré avec des protecteurs qui mouraient si vite ou qui se ruinaient ou naufrageaient si aisément.

Henri IV, rempli de bonnes intentions en toute chose, aurait vu d’un œil favorable ses sujets s’établir dans le nouveau pays ; mais partageant aussi les préjugés de cette époque essentiellement européenne, il ne croyait pas devoir saigner sa cassette pour si petite affaire.

  1. Un endroit très-fréquenté, un point de repère pour les partis de chasse et de guerre. C’est ce que nous apprennent les traditions.
  2. La terre nord du fleuve, entre la banlieue des Trois-Rivières et Batiscan, où Champlain avait interrompu sa description du sol proprement dit.
  3. Champlain a imposé ce nom à la chute Montmorency, près Québec.