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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/156

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1o La présence d’une forêt sur un sol empêche la formation des torrents ;

2o Le déboisement d’une forêt livre le sol en proie aux torrents[1].

La chose étant prouvée de fait, tâchons de nous en rendre compte. — Rien n’est moins difficile à expliquer, et c’est la facilité même de cette explication qui m’a poussé dans tous ces développements. — Je sais que les esprits sages acceptent les faits avec d’autant plus de défiance que les prévisions en paraissent plus certaines, et c’est la surtout qu’il faut prouver qu’on n’a pas mis ce qui doit être à la place de ce qui est réellement.

Quand les arbres se fixent sur un sol, leurs racines le consolident en le serrant de mille fibres ; leurs rameaux le protègent, comme un bouclier, contre le choc violent des ondées. Leurs troncs, et en même temps les rejetons, les broussailles, et cette multitude d’arbrisseaux de toute espèce qui croissent à leurs pieds, opposent des obstacles accidentés aux courants qui tendraient à l’affouiller. L’effet de toute cette végétation est donc de recouvrir le sol, meuble de sa nature, par une enveloppe plus solide et moins affouillable. En outre, elle divise les courants et les disperse sur toute la superficie du terrain ; ce qui les empêche de se porter en masse dans les lignes du thalweg, et de s’y concentrer, ainsi que cela arriverait, si elles couraient librement sur les surfaces lisses d’un terrain dénudé. — Enfin, elle absorbe une partie des eaux, qui s’imbibent dans l’humus spongieux, et elle diminue d’autant la somme des forces d’affouillement.

Il suit de là qu’une forêt, en s’établissant sur une montagne, modifie réellement la superficie du terrain, qui, seule, est en contact avec les puissances atmosphériques ; et toutes les conditions se trouvent alors modifiées, comme elles le seraient, si au terrain primitif on avait substitué

  1. Je ne connais guère que Lecreulx qui ait positivement contesté l’action des bois sur la production des torrents (pag. 159 de son ouvrage cité et ailleurs). En combattant Fabre sur ce point, Lecreulx n’a pas fait autre chose que d’étaler au grand jour sa pleine ignorance du genre de montagnes et du genre de cours d’eau que Fabre a eus spécialement devant les yeux. Lecreulx avait toujours présent à l’esprit l’exemple des Vosges, qui revient à chaque page de son livre. Je connais les Vosges, et je puis affirmer que ces montagnes ne ressemblent pas plus aux Hautes-Alpes, que le patois allemand, répandu dans quelques-unes de leurs vallées, ne ressemble au dialecte provençal, qui est ici la langue générale du pays.