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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/161

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la durée de l’écoulement, et rendront les crues à la fois plus longues, moins soudaines et moins désastreuses.

On comprend dès lors comment les forêts, en envahissant les bassins de réception, ont dû contribuer puissamment à étouffer certains torrents. — Pendant que les eaux se créaient les pentes les plus convenables, les forêts retenaient le sol prêt à fuir, le rendaient plus solide, diminuaient par conséquent la masse des alluvions, et surtout s’opposaient à la concentration des courants. Elles augmentaient toutes les résistances, et diminuaient toutes les puissances. Elles devaient donc hâter, par un double effet, cette époque de stabilité où la force des eaux se trouverait en équilibre avec la résistance du sol. — Une circonstance a dû rendre leur triomphe encore plus prompt : c’est que le torrent, à mesure qu’il s’affaiblissait, leur abandonnait un sol de plus en plus stable et favorable à la végétation ; en sorte que celle-ci augmentait chaque jour ses forces, à proportion que le torrent perdait les siennes. L’effet, s’il est permis de s’exprimer ainsi, était renforcé par l’effet.

Par là, je ne veux pas dire que les torrents ne puissent jamais arriver d’eux-mêmes à l’extinction. — Cela serait en contradiction avec le chapitre précédent, en même temps qu’avec l’expérience ; car il y a des exemples de torrents éteints sans la présence des forêts et par le seul fait de l’érosion de la montagne[1]. Mais je dis que les forêts hâtent l’accomplissement de cet effet, et qu’elles peuvent le produire là où les autres circonstances ne le produiraient pas encore.

Ainsi la nature, en appelant les forêts sur les montagnes, plaçait le remède à côté du mal. Elle combattait les forces actives des eaux par d’autres forces actives : aux envahissements des torrents, elle opposait les conquêtes progressives de la végétation. Sur ces revers mobiles, elle étendait une couche solide qui les protégeait contre les attaques extérieures, à peu près de la même manière qu’un revêtement en perré protège les digues en terre. — Il est même digne de remarque que le peu de consistance des calcaires, qui s’oppose à la fixation des terres, qui les rend si mobiles, et y attire les torrents, est précisément le motif qui les rend propices au développement de la végétation. La même cause qui multipliait les

  1. Par exemple, le torrent de Saint-Joseph, près du Monastier.