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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/166

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Ainsi la reproduction des forêts est généralement ici plus pénible que dans le reste de la France ; elles sont soumises aussi à des causes de destruction plus énergiques. Il faudrait donc aussi les ménager avec plus de sévérité, entourer leur jouissance de plus de restrictions ; enfin, provoquer leur régénération par des moyens artificiels plus actifs. — Rien de tout cela ne s’est fait ici.

La plupart des communes, successivement, ont obtenu une ordonnance royale qui autorise le pâturage des bêtes à laine dans leurs propres forêts. Il est inutile de démontrer l’effet désastreux de cette tolérance. — On tolère aussi l’enlèvement des détritus ; c’est comme si on tolérait chaque année l’enlèvement du sol végétal. — Il n’y a pas trois ans, on tolérait l’ébranchage. Pour apprécier tout le danger de cette dernière tolérance, il faut savoir que les arbres verts périssent quant on les ébranche au delà du tiers de leur hauteur. L’abus était devenu si excessif, qu’on ne put plus s’empêcher de le supprimer.

À ces fâcheuses concessions, il faut joindre les difficultés que la nature du pays oppose à la surveillance des gardes, et leur insuffisance manifeste à réprimer les nombreux délits, que la rareté progressive des bois rend chaque année plus hardis. — Il faut y joindre aussi la disette de fonds, qui empêche de procéder sur une échelle convenable aux semis, aux replantations, aux améliorations, etc.[1].

  1. Toutes ces causes de dépérissement sont parfaitement exposées dans un mémoire de M. Delafont, inspecteur des eaux et forêts ; mémoire plein de sagesse et de bonnes intentions, et qui fait regretter de n’avoir pas inspiré à l’administration des vues plus larges et plus hardies, qui seront seules à la mesure du mal, car à de grandes plaies, il faut de grands remèdes.

    « Ces tristes résultats que je viens de signaler, dit M. Delafont, de toutes parts on les déplore. Tous les hommes qui ne sont pas aveuglés par l’ignorance, ou dont le cœur ne s’est pas desséché par l’égoïsme, expriment la pensée qu’il serait temps enfin d’arrêter les progrès toujours croissants d’une si effrayante dévastation. Ils gémissent sur les maux sans nombre causés par le déboisement des montagnes, et semblent nous appeler au secours de nos richesses forestières. Ces réflexions, ces vœux, je les ai plusieurs fois entende moi-même prononcer avec cette énergie qu’inspire la conviction profonde de l’existence d’un grand mal et de l’impérieux besoin d’en suspendre le cours. — Entendons les cris de détresse d’une population alarmée sur son avenir ! etc. »

    (Mémoire sur l’état des forêts dans les Hautes-Alpes, les causes de cet état, ses résultats, et les moyens d’y remédier. Imprimerie de Allier.)

    On peut juger par cette citation, et par tant d’autres semblables que j’ai transportées à dessein dans mon propre travail, s’il y a rien d’exagéré dans la manière dont j’ai présenté les choses.