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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/165

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Il signalait cette imprévoyance comme une très-ancienne cause de la formation des torrents, et comme une cause nullement contestée, bien comprise et bien avouée de tous.

On conçoit à peine que depuis cette époque, ni les habitants, ni l’administration, n’aient pris aucune mesure efficace pour s’opposer à un ordre de choses si clairement funeste.

Cela tient à plusieurs causes.

Il est certain d’abord qu’une bonne partie des Alpes était déjà déboisée quand parut, en 1669, l’ordonnance de Colbert, qui régla les eaux et forêts, et interdit les défrichements aux communautés[1].

La révolution causa ensuite la ruine d’une superficie considérable de forêts, par le gaspillage qui suivit la confiscation des biens de la noblesse et du clergé. Beaucoup de communes, dans la première confusion, s’emparèrent de bois considérables, que le domaine de l’État, subitement accru, ne revendiquait pas, et qui de suite furent abattus. Elles en gardèrent d’autres, sous des titres douteux et mal vérifiés, et elles les ruinèrent en peu de temps.

La loi du 9 floréal an XI fit cesser le désordre. À partir de cette époque, les exploitations sont restreintes, les grands abus tombent ; mais beaucoup de causes conspirent encore à détruire ici insensiblement les forêts.

Dans ces montagnes, la plus grande partie des forêts est formée par les arbres résineux. Ceux-ci ne repoussent pas de souches, et le gazon étouffe les semis. On ne peut pas, à cause de cela, les exploiter par coupes réglées, ou, comme on dit, à blanc estoc ; il faut les abattre çà et là dans les parties les plus fourrées, où de jeunes arbrisseaux sont prêts à les remplacer : c’est ce qu’on appelle jardiner. Or, ce mode d’exploitation ne peut pas s’effectuer sans briser ou mutiler beaucoup déjeunes arbres. Ensuite il est pénible, ce qui rebute les exploitants, qui ouvrent alors, en fraudant, des coupes moins incommodes, mais infiniment plus destructives.

Croissant sur des talus rapides et souvent dans des régions très-élevées, les forêts sont dévastées par les avalanches. — Elles exigent aussi, pour prospérer, des conditions particulières d’air, d’ombre, de température ; et là où ces conditions manquent, elles dépérissent ou viennent mal.

  1. Voyez la note 15.