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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/172

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cines. Par leur piétinement, ils pétrissent le sol et ils écrasent les plantes naissantes. Non-seulement le reboisement devient alors impossible, mais le gazon même finit par disparaître. — Leur fumier pourrait compenser ces dévastations, s’il restait sur les pacages ; mais comme il est recherché dans le pays, les habitants l’enlèvent et le répandent sur les champs cultivés.

Quand on examine les pâturages qui sont traversés fréquemment par les moutons, on les voit sillonnés par une infinité de sentiers, qui sont les traces de leur continuel passage. Ces sentiers se multiplient, se croisent, se confondent, et finissent par envahir la surface entière des pelouses, qu’ils rendent stériles[1].

Sur d’autres revers déjà dénudés, le piétinement de ces animaux remue les pierres et détache des blocs, dont la vitesse s’accélère en roulant. Quand une route est placée au pied d’un pareil talus, le passage des moutons sème sa surface de débris et devient quelquefois pour les passants un péril très-réel[2]. On est averti de leur approche par le bruissement des pierres qui roulent sous leurs pieds. — Qu’on juge si un terrain bouleversé de cette manière peut revêtir jamais un talus stable ! qu’on juge surtout si la végétation peut jamais parvenir à s’y fixer !

Le mal que causent les troupeaux est devenu partout si manifeste, que beaucoup de communes, pour sauver leurs montagnes, ont pris le parti de les mettre à la réserve. Cette mesure consiste à les interdire aux troupeaux en même temps qu’à la charrue, sans les soumettre toutefois au régime forestier : on les abandonne à elles-mêmes. — Telle est la bonté naturelle de ces terrains, que la végétation reparaît à leur surface dès que les moutons cessent de la fouler : et cette mesure si simple a suffi partout pour réparer de longs abus. Sur les talus les plus arides et les plus mobiles, où le sol s’écoulait aux moindres pluies, on a vu sortir, comme par

  1. Cela se voit sur le Mont-Genèvre, sur le Morgon, sur la montagne de Vars, sur celle de Châteauroux,… en général, sur toutes les montagnes pastorales.

    Ces sentiers portent dans le pays le nom de Drayes.

  2. Par exemple, sur la petite route de Grenoble à Briançon (route royale no 91), les moutons empêchent la fixation des talus d’éboulements formés aux pieds des falaises qui encaissent la vallée. — Ils ont été fréquemment la cause d’accidents graves, et nécessiteraient dans cette localité un règlement d’interdiction tout spécial, pour cause de sûreté publique.