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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/176

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verra ici se dérouler un à un tous les faits qui ont été précédemment développés, et ils se succéderont dans le même ordre.

D’abord, tout atteste que ce pays était anciennement boisé. — On déterre dans ses tourbières des troncs ensevelis, monuments de l’ancienne végétation[1]. Dans les charpentes des vieilles habitations on découvre des pièces de bois énormes, que l’on ne retrouverait plus dans la contrée. Plusieurs quartiers, complètement nus, portent encore aujourd’hui le nom de bois[2]. Un de ces vallons (celui d’Agnères) est appelé Comba-Nigra dans les anciens titres, a cause de ses épaisses forêts. Ces preuves, et beaucoup d’autres, confirment les traditions, qui sont d’ailleurs unanimes sur ce point.

Là, comme dans toutes les Hautes-Alpes, les déboisements ont commencé sur les flancs des montagnes, et de là, sont descendus peu à peu vers le fond des vallées et ont remonté jusqu’aux cimes les plus accessibles. — Puis survint la révolution, qui fit tomber le reste des bois échappés aux premiers défricheurs. Cette dernière destruction s’est accomplie sous les yeux d’une partie de la population actuelle ; et tous les vieillards se la rappellent[3].

Là aussi, après les déboisements, sont venus les défrichements et les dépaissances. On défrichait les terrains les plus voisins des habitations. On lâchait les troupeaux partout où il était incommode ou impossible de transporter les araires. Cette marche, commencée depuis bien des siècles, accélérée par les désordres de la révolution, a produit ses inévitables fruits, et les habitants portent aujourd’hui durement la peine de l’imprévoyance de leurs pères.

Leur première misère est dans l’extrême rareté du bois. — Les communes se grèvent en achetant à grands frais la jouissance de forêts lointaines. Il faut, dans certaines localités, treize heures de fatigue pour rapporter à dos de mulet une charge de bois à travers d’affreux précipices, sans compter le temps de l’abattage et du dépècement[4].

  1. À Agnières.
  2. Quartier du bois de Laye.
  3. Plusieurs disent avoir égaré leurs troupeaux dans les forêts du Mont-Auroux, qui couvraient les flancs de la montagne, depuis La Cluse jusqu’à Agnières. — Ces flancs sont aujourd’hui nus comme la main.
  4. À Saint-Étienne.