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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/182

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Ensuite, lors même que ce cas se présente, le seul qui puisse assurer le succès de l’endiguement, quel autre résultat a-t-on obtenu, si ce n’est d’avoir changé le mal de place ? En effet, si le torrent arrive chargé de matières (et il arrivera toujours chargé, tant qu’on n’aura pas fait cesser les affouillements dans le haut), il faut bien qu’il les dépose quelque part ; s’il ne le fait devant les digues, il le fera plus loin. Par conséquent, en sauvant quelques propriétés, on n’a fait que détourner le fléau, qui tombera de tout son poids sur les quartiers voisins.

On dira que le torrent, s’il était repoussé de proche en proche par tous ses riverains, pourrait traîner ses alluvions jusque dans la rivière qui le reçoit ; ce qui éloignerait tout à fait les ravages. — Oui, mais alors c’est dans la rivière qu’on aura transporté le mal ; et ce résultat, à tout considérer, est peut-être le pire de tous. Il est incontestable que la décharge de toutes ces matières dégorgées par les torrents est une des principales causes de la divagation des rivières. Elles en déposent la plus grosse partie près du confluent où elles les ont reçues ; elles charrient le reste plus loin, et s’en débarrassent peu à peu. Or, comment prendraient-elles une forme de lit stable avec un fond que l’addition de nouveaux dépôts doit modifier continuellement ? — Elles sont donc forcées de divaguer ; et par là, elles distribuent sur une longue ligne tous les maux qui suivent toujours les déplacements de lit, maux qui pèsent à la fois, et sur l’agriculture, et sur la navigation.

En définitive, tout système de défense, quel qu’il soit, qui n’empêchera pas d’abord les affouillements dans la montagne, demeurera toujours incomplet, et cela par une raison simple et sans réplique : — c’est que les matières, une fois mises en mouvement, doivent nécessairement se déposer quelque part, à moins qu’on ne les suppose solubles dans l’eau ou susceptibles de s’évaporer. — De là cette conclusion importante : Que le champ des défenses doit être transporté dans les bassins de réception.

On peut encore faire cet autre reproche aux digues, qu’elles arrivent toujours trop tard, après que le mal a déjà jeté ses racines ; qu’elles le combattent lorsqu’il est formé, et qu’elles ne font rien pour le prévenir, semblables en cela à nos lois. — Ce défaut devient bien grave, quand on considère la multitude de torrents récents qui surgissent de toutes parts. Si l’on croyait avoir tout fait en opposant à chaque torrent nouveau des digues nouvelles, on voit qu’on serait bientôt entraîné dans d’excessives dépenses ; et ces excessives dépenses n’empêcheraient pas de nouveaux torrents de s’ouvrir à côté de ceux qu’on serait occupé à dompter. Elles n’em-