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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/237

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Il est bon qu’on ait présent à l’esprit l’image de cette prodigieuse puissance de la végétation, lorsqu’on parle sérieusement de l’impossibilité de créer ici des forêts. — Qu’aurait-on prouvé, après tout, si, désignant quelques quartiers, où il ne reste plus que le rocher, aux parois lisses et verticales, on nous mettait au défi de les tapisser d’arbres ? Nous accorderions ce point bien volontiers, attendu que nous n’avons nul intérêt à boiser une partie où le terrain est, par lui-même, si parfaitement dur et solide, que les eaux ne peuvent pas l’entamer ni l’emporter. Il n’en reste pas moins prouvé que le reboisement est possible partout où, sur des inclinaisons modérées, se présentent, soit des terres friables, soit même des roches en décomposition. Or, ces parties, qui sont les seules où le reboisement soit véritablement utile, constituent une zone immense, embrassant en largeur tout l’espace qui s’étend entre la cime rocheuse des montagnes et le milieu environ de leurs flancs, et s’étendant en longueur sur tout le développement des chaînes. Dans cette vaste superficie, les places inabordables à la végétation ne figureraient que comme des points, et ne changeraient absolument rien au résultat général des travaux.

Passons à la seconde objection : celle qui mettrait en doute les résultats du reboisement, dans le cas où l’on serait parvenu à l’effectuer avec un plein succès.

M’arrêterai-je à la réfuter ? En vérité je le crois superflu, car il n’y a presque pas une page de ce livre qui ne mette ce doute au néant. L’effet que les bois doivent exercer sur les torrents n’est pas seulement démontrée directement par les faits, mais il est prouvé avec non moins de solidité par l’analyse des causes qui engendrent et entretiennent les torrents, et qui sont toutes évidemment annihilées par la présence des forêts. Je saute donc outre.

Cependant, il est une erreur qui pourrait opposer une influence fâcheuse à l’exécution de nos travaux, et qu’il est important de détruire. Je veux parler de cette opinion dans laquelle, sans mettre en débat les heureux résultats du reboisement, on s’attendrait toutefois à ne les voir se réaliser qu’au bout d’une très-longue série d’années.

Je dis que cette opinion serait fâcheuse : car, en tout ce que nous entreprenons, nous voulons toucher vite au but ; nous avons soif de jouir, et les travaux séculaires ne sont plus de notre goût. Avec une si âpre impatience, comment ne reculerions-nous pas, consternés et rebutés, devant une entreprise dont nous ne verrions jamais nous-mêmes le terme, dont