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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/236

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paration, qui le rend propre à se couvrir à son tour des mêmes plantes. Celles-ci s’y fixent ; le cercle est agrandi ; chaque année, la végétation englobe dans sa conquête une zone nouvelle, et prépare une autre zone pour l’année suivante. Chaque oasis devient un centre de propagation, et va ainsi, s’élargissant toujours, et gagnant sans cesse du terrain. Bientôt toutes les terres médiocres sont conquises par la verdure : les mauvaises, resserrées de plus en plus, bonifiées par le contact de la végétation, et enveloppées enfin de tous les côtés, finissent par être envahies comme le reste.

C’est ainsi que procède la nature, dont il faut se rapprocher le plus possible, et épier le secret. Si elle a réussi à enraciner des forêts jusque sur les plus durs rochers, c’est par suite de cette propriété qu’a la végétation de s’étendre sans cesse, en transformant d’abord le sol rebelle, afin de s’en emparer plus tard : véritable contagion, qui se communique de proche en proche, et que les vents peuvent transporter tout à coup à des distances immenses, à l’aide des semences qu’ils emportent dans leur course. Comme le temps ne fait qu’accroître cette puissance d’envahissement, puisque d’une part, il prépare de mieux en mieux le sol, et de l’autre, étend de plus en plus le périmètre de la conquête en même temps qu’il multiplie la masse des graines, il n’est point de terrains capables de résister indéfiniment à une telle force, et tous à la longue doivent finir par être gagnés. On ne conçoit pas de limite à cette action. — Aussi voit-on, dans les îles inhabitées, et dans les portions de continent où l’homme n’a pas encore troublé l’ordre de la nature, les forêts recouvrir presque sans interruption la surface entière du sol, ne s’arrêtant que là où la terre leur manque pour faire place à l’eau. Telles sont les forêts vierges de plusieurs îles de l’Océanie ; telles étaient celles du Brésil, et celles de l’Amérique du Nord, avant l’établissement des Européens. Telle enfin se présentait vraisemblablement notre vieille Europe, avant les âges historiques, et même à des époques moins reculées ; car l’histoire nous montre la Germanie, du temps des premiers Césars, comme ne formant à peu près qu’une seule grande forêt, coupée par les fleuves et par les marais, et dans laquelle les bourgs et les cultures étaient noyés comme des clairières. Il n’y a pas encore un siècle que la Russie était toute noire de forêts, et je ne sais quel voyageur, pour en donner une idée, rapportait qu’un écureuil, sautent d’un arbre à l’autre, pouvait aller de Moscou en Finlande, sans toucher une seule fois la terre.