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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/249

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tirer parti du sol qui doit nourrir cette masse croissante de consommateurs. Chacun veut avoir son champ au soleil, dans cette France surtout, où le peuple a peut-être, plus que partout ailleurs, l’amour de la propriété du sol, et une répugnance, bien légitime à mon avis, pour le triste travail des fabriques. De là vient que les propriétés tendent sans cesse à se morceler, et que chaque lopin de terre est tourmenté de façon à produire le plus de revenu possible. — Dès lors, il est difficile que les forêts ne soient pas remplacées insensiblement par des cultures ; puisqu’à surface égale, le revenu d’une forêt est presque partout inférieur à celui d’une bonne terre labourée. D’un autre côté, les forêts ne se prêtant pas au morcellement se trouvent, par là même, à l’égard du propriétaire qui veut les vendre, dans des conditions moins avantageuses que le serait une superficie équivalente de champ labourable ; il est donc de son intérêt de les abattre, et de vendre en détail le sol à une foule de petits propriétaires.

À cette cause radicale, vous pouvez ajouter plusieurs causes accessoires : le maraudage des paysans qui ruine les bois et les fait périr sourdement ; les abus de jouissances des communes ; la lenteur avec laquelle croissent les forêts, et la facilité avec laquelle on peut les détruire ; les accidents de fortune qui forcent quelquefois un propriétaire, pour sortir de détresse, à ruiner tout d’un coup ses bois par des coupes déréglées, etc., etc. Comment les forêts résisteraient-elles à tant de causes conjurées contre elles ? Tout conspire à les effacer du sol. L’intérêt particulier trouve du profit à les détruire, et l’intérêt général, en commandant de les conserver, n’oppose que des motifs vagues et éloignés aux raisons pressantes qui expliquent leur disparition, et, disons plus, qui la justifient dans beaucoup de cas. C’est là ce qui n’a pas été nettement démêlé. Il n’est pas vrai que la destruction d’une forêt soit toujours et partout une opération pernicieuse. Si elle est condamnable dans certaines circonstances, elle ne l’est pas dans d’autres, et l’administration, qui n’a pas établi cette division, se trouve aujourd’hui malhabile à faire face aux abus.

Dans les pays peu accidentés, dans les grandes vallées, en même temps que les forêts s’appauvrissent, les voies de transport deviennent de plus en plus rapides, commodes et économiques : ce qui permet de chercher le bois à des distances de plus en plus lointaines, sans en restreindre la consommation, et sans que le prix en soit notablement augmenté. Ces pays finissent ainsi par tirer des contrées voisines le bois qu’elles ne produisent plus elles-mêmes.