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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/260

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bâtissent des habitations nouvelles dons les plaines. Combien n’en voit-on pas, qui sont divisées ainsi en deux quartiers : la ville ancienne, sombre amas de masures jeté sur la pointe de quelque montagne, et la ville nouvelle, qui se dresse, fraîche et riante, dans la vallée, au pied des noires murailles gothiques ? Et malheur à celles qui s’emprisonnent dans leurs vieux retranchements, ou que leur site relègue à l’écart, loin des grandes voies sillonnées par le roulage ou par les bateaux ! Celles-là sont frappées de déchéance ; les routes ne viendront jamais les chercher dans leur solitude, et elles dépériront tristement, tandis qu’autour d’elles, les cités rivales croîtront chaque jour en opulence et en grandeur.

Il est incontestable que les contrées qui se prêtent le mieux à l’ouverture des communications devront, toutes les autres conditions étant égales d’ailleurs, s’élever rapidement au-dessus des contrées qui n’offrent pas le même avantage. Il existe beaucoup de villes dont la fortune, toute récente, ne s’explique que par le hasard qui les a placées à l’intersection ou au débouché de quelque puissante ligne de transport.

Ainsi le flux social s’épanche dans les plaines et sur les bords des grands cours d’eau. Pendant ce temps les pays de montagnes, déshérités par la nature de tout ce qui fait les faciles parcours, tombent dans l’isolement et dans l’oubli. Ces difficultés d’accès, qui les ont rendus si longtemps précieux à la défense du faible contre le fort, en éloignent aujourd’hui la civilisation. Elle les enveloppe de toutes parts ; elle marche à côté d’elles d’un pas de géant, et ne se traîne qu’en boitant dans les détours de leurs gorges, comme si ces rudes sentiers gênaient sa marche. Plus elle trouve de facilité à se mouvoir dans les plaines, plus il lui répugne de s’aventurer dans les montagnes ; et si jamais l’on vient à réaliser ces magnifiques projets de chemins de fer, que l’on agite depuis quelques années, nul doute qu’ils n’attirent autour d’eux, et n’absorbent, pour ainsi dire, toute la vie sociale, et alors l’abandon des montagnes sera complet !

Les montagnes seraient-elles véritablement condamnées à ce triste dépérissement ? Est-ce ainsi que finira leur histoire ; et ces antiques sanctuaires de l’indépendance tomberont-ils en ruine, comme des temples abandonnés ? C’est une curieuse recherche que celle du rôle dévolu à ces régions, dans une ère où l’humanité, cessant de se déchirer les entrailles, ne s’occupera plus qu’à exploiter paisiblement son globe au profit de son perfectionnement ; règne de calme et de sérénité, où il n’y aurait plus de place pour les