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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/261

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sanglantes vertus du soldat, et où les avantages stratégiques d’une contrée lui seraient comptés pour rien.

Dans notre pensée, les montagnes ont là encore leur lot spécial, et de nouvelles destinées à poursuivre, qui les rendront aussi nécessaires aux sociétés futures qu’elles ont été utiles aux sociétés passées ; et cette destination, il nous semble la voir dans la double présence des forêts et des cours d’eau.

J’ai suffisamment indiqué quelles seraient la convenance et l’utilité extrême des forêts accumulées dans le sein des montagnes. Je ne reviendrai plus sur ce sujet.

Les forêts recèlent le feu, c’est-à-dire la force la plus universelle dont l’homme se soit rendu le maître. C’est avec le feu qu’il dompte et assouplit les métaux, qui sont le premier instrument de sa civilisation. A-t-il besoin de moteur ? il l’emprisonne, sous forme de vapeur, dans les parois de ses machines, et soudain, il en tire une force dont la puissance n’aurait pas de limites, sans la fragilité des appareils mêmes qui la contiennent.

De leur côté, les cours d’eau sont un réceptacle fécond de forces motrices qu’ils empruntent à la gravitation, et qu’ils sont tout près de mettre à notre disposition. Ils réunissent dans les montagnes tous les éléments propres à faire de ces contrées une sorte de laboratoire, où fonctionneraient mille machines, où mille forces dociles n’attendent, en quelque sorte, que notre fiat lux pour se mettre à l’œuvre, et travailler à l’amélioration de notre bien-être. Les montagnes, en un mot, sont la patrie des machines comme elles sont la patrie des forêts ; et, sous cette double forme, elles renferment les principes d’une incommensurable force physique.

Les machines, en dépit de quelques perturbations passagères, sont un incontestable bienfait. Nous leur devons la partie la plus prestigieuse de notre civilisation. En prêtant à l’homme des forces nouvelles, elles l’affranchissent du travail des bras dans les fonctions les plus monotones et les plus grossières, dans celles qui, étant susceptibles d’être exercées par des machines, sont, par ce motif-là même, dégagées de toute intelligence, et par conséquent abrutissantes. Grâce à leur secours, nous dominons la matière par le seul effort de notre pensée, et sans être contraints de lutter corps à corps avec elle. C’est l’ignorance des machines qui légitimait en quelque façon l’esclavage chez les Anciens. Il fallait bien trouver dans les