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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/262

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nerfs des hommes les forces qu’on n’avait pas encore su arracher à la nature ; et quel est l’être intelligent et libre qui se fût résigné à garrotter son existence au levier d’une meule ?… Enfin les progrès de la mécanique, en donnant une supériorité matérielle aux peuples civilisés, ont mis décidément à leurs pieds tout l’univers barbare ; ils ont assuré à jamais la domination de l’intelligence sur la force brutale, et placé ainsi le pouvoir du côté le plus noble et le plus digne.

Lorsqu’on médite sur l’immense influence que les machines ont déjà exercée sur nos sociétés, il est impossible de s’imaginer qu’elle s’arrêtera au point précis où nous l’observons aujourd’hui : elle ira plus loin et finira par modifier profondément la condition de l’homme sur la terre. La nature en avait fait une créature adroite, mais faible et presque sans armes. Les machines lui ont mis entre les mains des armes formidables ; elles en ont fait un être merveilleux, doué des pouvoirs les plus incroyables. L’homme, ainsi transformé, est devenu un être tout nouveau, et les machines ont opéré en lui une véritable création.

Quand on est bien pénétré de ces pensées, on entrevoit de suite quel avenir est réservé aux régions qui, comme les montagnes, renferment précisément tous les principes destinés à vivifier les machines. Démontrer la puissance des machines et leur rôle dans la civilisation, c’est démontrer la haute destination à laquelle se prêtent les montagnes. — Il y a un effrayant calcul à faire de la force éparpillée dans le courant de ces mille filets d’eau qui les inondent. Si quelqu’un, estimant cette force en chevaux, ainsi qu’on le fait en dynamique, s’avisait d’imprimer qu’il connaît en France quatre ou cinq régions renfermant des millions de chevaux qui ne coûtent rien à entretenir ni à nourrir, et qui vaguent dans les campagnes, sans qu’on ait pensé jusqu’à présent à s’en emparer, quelle ne serait pas notre surprise ? Combien nous nous apparaîtrions à nous-mêmes barbares et mal avisés d’avoir tardé si longtemps à tirer parti de tels auxiliaires ? Eh bien ! ces auxiliaires existent réellement dans toutes nos montagnes, et il ne tient qu’à nous de les assujettir à notre usage.

Ce serait une erreur de croire que la vapeur a détrôné pour toujours les cours d’eau : ce qui enlèverait aux montagnes toute supériorité sur les plaines, parce que la vapeur n’appartient pas plus spécialement à une région qu’à l’autre.

La machine à vapeur, cette admirable découverte des temps récents, aura toujours sur les cours d’eau un grand désavantage : — celui d’être