Aller au contenu

Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ments, en rendant les terres meubles, ont diminué cette ténacité : donc, ils ont favorisé la formation des torrents.

» L’on voit par là combien a été mal entendue et peu réfléchie la loi rendue sous l’ancien régime, qui autorisait les défrichements, pourvu que l’on construisît, par intervalles, des murs de soutènement, pour arrêter les terres sur les penchants des montagnes. On n’a pas senti que, dans une infinité de contrées, on se bornait à faire deux ou trois récoltes dans un défrichement, et qu’ensuite on l’abandonnait. Conséquemment il était naturel que les murs de soutènement devant plus coûter que ne vaudraient les récoltes, on ne les construirait pas ; aussi c’est là ce qui est arrivé. Cependant il en est résulté jusqu’à présent, et il en résultera pour l’avenir, les désastres les plus affreux, ainsi que nous allons le voir.

146. » Le premier désastre produit par les deux causes dont nous venons de parler, est la ruine de nos forêts.

» S’il avait existé des lois sages et qu’on eût soigneusement tenu la main à leur exécution, nous aurions aujourd’hui des bois de construction assez abondants pour nous passer de l’étranger. Nous aurions aussi en abondance des bois de charpente et de chauffage. On sent que tous ces objets sont essentiellement nécessaires dans un état bien organisé. Cependant ils nous manquent au point que dans un grand nombre de communes on n’a pas même du bois de chauffage. Le mal vient de loin, et il est très-instant d’y remédier.

147. » Le second désastre est l’anéantissement en une infinité d’endroits de la couche végétale qui couvrait nos montagnes.

» Cette couche donnait autrefois d’abondants pâturages pour les bêtes à laine. Emportée par les orages et les torrents, il ne reste plus aujourd’hui sur ces montagnes qu’un rocher nu et aride. De là il résulte nécessairement une diminution dans le menu bétail qu’on aurait pu nourrir en France, si ces pâturages avaient continué d’exister.

148. » Le troisième désastre est la ruine des domaines qui sont le long des rivières.

» … Nous avons vu que les crues étaient d’autant plus fortes que les montagnes étaient moins boisées et plus décharnées. Ces crues sont donc plus fortes aujourd’hui par l’effet des deux causes mentionnées ci-dessus, qu’elles ne l’étaient autrefois : donc elles doivent causer, et elles causent réellement beaucoup plus de dégâts aux domaines riverains qu’elles n’en causaient autrefois.

» D’autre part, nous avons vu qu’il pouvait arriver, comme en effet il n’arrive que trop souvent, que les torrents sortissent de leur lit, couvrissent de dépôts les domaines adjacents situés au pied des montagnes ; ce qui les dénature absolument. Or, la chose n’a lieu que depuis que, par les deux causes ci-dessus, les torrents se sont formés.

149. » Le quatrième désastre est le dommage qu’éprouve la navigation des rivières par les divisions qui sont la suite de fortes crues.

» Nous verrons plus bas qu’une crue forte et subite divise souvent la rivière en plusieurs