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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/84

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rent, ils ont besoin à leur tour d’être défendus. C’est de la sorte que ce principe, si protecteur en apparence, se retournant successivement contre chaque propriété, les anéantira toutes, l’une après l’autre !

Combien, au contraire, la régie administrative, conçue dans l’esprit que j’ai dit plus haut, produirait d’heureux fruits ? Elle forcerait les plaignants à se défendre de leur côté, au lieu de plaider ; et l’argent qu’ils perdent dans leurs procès serait transformé en de bons et utiles travaux[1]. Il suffirait qu’une rive commençât à se défendre pour provoquer immédiatement des défenses sur la rive opposée, et un premier endiguement déterminerait, de proche en proche, l’encaissement du torrent tout entier.

Telle est encore dans cette matière l’hésitation de nos lois, que le tribunal, qui peut condamner le propriétaire à de fortes indemnités, ne peut pas le condamner à démolir ses défenses : en sorte que s’il persiste à les laisser sur place, il prépare un aliment continuel aux poursuites. Le préfet seul a le pouvoir d’ordonner la démolition des ouvrages reconnus par lui offensifs ; aussi arrive-t-il que ces affaires sont portées tantôt devant le préfet, tantôt devant les tribunaux, suivant que les réclamants demandent la démolition des ouvrages ou qu’ils demandent des dommages-intérêts.

Je sais bien qu’on m’objectera la législation des usines, qui, sur ce point, est formelle. L’ordonnance royale qui autorise leur établissement, énonce toujours qu’elle soumet le concessionnaire à tous les recours des riverains devant l’autorité judiciaire. — Mais ce qui est en effet très-juste pour une usine, ne l’est plus pour les défenses. L’établissement d’une usine est une spéculation faite par l’intérêt privé, et qu’il faut encourager, comme toute entreprise industrielle, mais non pas en lui sacrifiant les intérêts de l’agriculture, ni les droits de la propriété. Il serait bien absurde de faire peser sur tous les riverains la charge d’une entreprise qui ne profite qu’à un seul, et dont eux-mêmes ne profiteront jamais que d’une manière très-détournée. Au contraire, les digues sont une chose d’absolue nécessité, essentielle à l’existence même de toute propriété riveraine, et dont toutes ont besoin à leur tour. Elles portent donc un

  1. Les procès figurent dans l’énumération qu’a faite Fabre de tous les maux que causent les torrents (voir le no 150 : « le cinquième désastre consiste dans les procès, etc. »).