Aller au contenu

Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taire et préventive, et les juges ordinaires restent maîtres de toutes les questions de propriété[1] ; ce qui, du reste, est conforme à l’esprit général de la législation, qui place les droits de la propriété sous la sauvegarde de l’autorité judiciaire, et les intérêts publics sous la tutelle de l’autorité administrative. — D’après cette disposition, l’administration qui autorise un propriétaire à se défendre, qui lui trace les ouvrages à faire, qui en surveille elle-même l’exécution, ne le sauve pas pour cela d’une poursuite devant les tribunaux. Or, quelle marche suivront ceux-ci ? Ils feront constater, par des experts, s’il y a eu réellement des dommages causés, et quels sont ces dommages. En vertu d’un pareil mandat, les experts ne pourront pas se refuser à les reconnaître, ni à les évaluer, puisque, de fait, ces dommages existeront presque toujours. Sur ce rapport, le propriétaire le mieux autorisé pourra être condamné à payer de fortes indemnités.

Élevons-nous un instant au-dessus de la lettre de la loi, qui du reste, sur ce point, est loin d’être claire. — N’est-il pas évident que des jugements rendus dans un pareil esprit, qui semble au premier aspect conforme aux régies ordinaires de la justice, sont au fond souverainement iniques ? Quoi ! ma propriété est à la veille d’être anéantie ! Elle n’a plus de valeur, elle n’existe plus qu’à la condition d’être défendue ! Je demande à me défendre, je me soumets à tout ce qu’on exige de moi pour ne pas rendre ma défense offensive, et vous me condamnez, parce qu’il n’a pas dépendu, ni de moi, ni de l’administration, qu’elle ne le devînt pas !…

Quels seront, en fin de compte, les résultats d’une semblable justice ? — De forcer les propriétaires qui se proposent de défendre leur rive, à indemniser en même temps la rive opposée, s’ils ne veulent pas être traînés dans d’interminables procès. À ce prix-là, peu de propriétaires consentiraient à se défendre, et il faudrait se résigner à livrer en pâture aux torrents les meilleures terres du département. — Ainsi, loin de favoriser les droits de la propriété, de pareils jugements lui sont au contraire directement opposés. En protégeant certains héritages, ils en condamnent d’autres à périr ; et ceux qu’ils protègent aujourd’hui périront eux-mêmes demain, victimes du même principe, si demain, par un caprice du tor-

  1. Voir le Dictionnaire de M. Tarbé de Vauxclairs, article Cours d’eau. — Voir le Cours de M. Cotelle.