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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 10, 1904.djvu/170

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LE RÉGIME MODERNE


net, et il les évalue directement, lui-même, avec une perspicacité supérieure et une compétence universelle. Dans toutes les branches de l’action civile ou militaire, et jusque dans le détail technique, il est spécial ; sa mémoire des faits, des actes, des antécédents et des circonstances est prodigieuse ; son discernement, son analyse critique, sa divination calculée des ressources et des insuffisances qui se rencontrent dans un esprit ou une âme, sa faculté de « jauger » les hommes est extraordinaire ; par des vérifications et rectifications incessantes, son répertoire interne, son dictionnaire biographique et moral est incessamment tenu à jour ; son attention ne se relâche jamais ; il travaille dix-huit heures par jour ; on retrouve son intervention personnelle et sa main jusque dans la nomination des subalternes. « Tous les hommes appelés aux affaires[1] ont été choisis par lui » ; c’est encore par lui qu’ils gardent leur place ; ils n’avancent que sous son contrôle et avec des répondants qu’il connaît. « Un ministre n’aurait pas destitué un fonctionnaire sans l’avis de l’Empereur, et tous les ministres pouvaient changer sans qu’il en résultât deux mutations secondaires dans tout l’Empire. Un ministre ne nommait pas même un commis de second ordre sans présenter à l’Empereur plusieurs candidats et, en regard, les noms des personnes qui le recommandaient. » Tous, même à dis-

    rent inutiles… Un sot, un fripon, ne mettront jamais leur ambition à approcher de Bonaparte ; ils n’auraient rien à y gagner. »

  1. Fiévée, Correspondance, III, 33. — Rœderer, III, 381.