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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 10, 1904.djvu/189

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OBJET ET MÉRITES DU SYSTÈME


constituée à perpétuité par la libéralité du souverain ou par la prudence du fondateur, et destinée à soutenir la dignité du titre, de mâle en mâle et d’anneau en anneau, sur toute la chaîne future des héritiers successifs. Par cette prime suprême, le subtil tentateur a prise sur les hommes qui pensent, non seulement à eux-mêmes, mais encore à leur famille : désormais ils travailleront, comme lui, dix-huit heures par jour, ils iront au feu, ils se diront, en défaillant sur leur bureau ou en affrontant les balles, que leur prééminence leur survivra dans leur postérité : « À tout le moins, mon fils héritera de moi, et même il grandira par ma mort. »

Ainsi employées, toutes les attractions qui peuvent vaincre l’inertie naturelle de la matière humaine opèrent ensemble et de concert ; sauf la conscience solitaire et le besoin d’indépendance personnelle, il n’y a plus un seul ressort interne qui ne soit tendu à l’extrême ; et, par delà cette extrémité, une circonstance unique ajoute encore aux ambitions un dernier surcroît d’énergie, d’impulsion et d’élan. — Tous ces hommes qui sont parvenus ou qui parviennent sont contemporains : ensemble et sur la même ligne, ils sont partis de la même condition, moyenne ou basse ; chacun d’eux aperçoit au-dessus de lui, et sur le gradin supérieur, d’anciens camarades ; il se dit qu’il les vaut, il souffre de ne pas être à leur niveau, il s’efforce et se risque pour y monter. Mais, si haut qu’il monte, il voit, encore plus haut, des occupants, jadis ses égaux ; par suite, aucun rang obtenu par eux ne lui semble au-dessus de