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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/34

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L’ANCIEN RÉGIME


pensionné pour figurer dans les antichambres, un magistrat qui achète le droit de rendre la justice, un colonel qui sort du collège pour venir commander son régiment héréditaire, un négociant de Paris qui, ayant loué pour un an une maison de Franche-Comté, aliène par cela seul la propriété de ses biens et de sa personne, quels paradoxes vivants ! Et, dans toute l’Europe, il y en a de pareils. Ce qu’on peut dire de mieux en faveur « d’une nation policée[1] », c’est que ses lois, coutumes et pratiques se composent « pour moitié d’abus, et pour moitié d’usages tolérables ». — Mais sous ces législations positives qui toutes se contredisent entre elles et dont chacune se contredit elle-même, il est une loi naturelle sous-entendue dans les codes, appliquée dans les mœurs, écrite dans les cœurs. « Montrez-moi un pays où il soit honnête de me ravir le fruit de mon travail, de violer sa promesse, de mentir pour nuire, de calomnier, d’assassiner, d’empoisonner, d’être ingrat envers son bienfaiteur, de battre son père et sa mère quand ils vous présentent à manger. » — « Ce qui est juste ou injuste paraît tel à l’univers entier », et, dans la pire société, toujours la force se met à quelques égards au service du droit, de même que, dans la pire religion, toujours le dogme extravagant proclame en quelque façon un architecte suprême. Ainsi les religions et les sociétés, dissoutes par l’examen, laissent apercevoir au fond du creuset, les unes un

  1. Voltaire. Dialogues, Entretiens entre A. B, C.