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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/35

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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


résidu de vérité, les autres un résidu de justice, reliquat petit, mais précieux, sorte de lingot d’or que la tradition conserve, que la raison épure, et qui, peu à peu, dégagé de ses alliages, élaboré, employé à tous les usages, doit fournir seul toute la substance de la religion et tous les fils de la société.

V

Ici commence la seconde expédition philosophique. Elle se compose de deux armées : la première est celle des Encyclopédistes, les uns sceptiques comme d’Alembert, les autres à demi panthéistes comme Diderot et Lamarck, d’autres francs athées et matérialistes secs comme d’Holbach, La Mettrie, Helvétius, plus tard Condorcet, Lalande et Volney, tous divers et indépendants les uns des autres, mais tous unanimes en ceci, que la tradition est l’ennemi. Tel est l’effet des hostilités prolongées : en durant, la guerre s’exaspère ; on veut tout prendre, pousser l’adversaire à bout, le chasser de tous ses postes. On refuse d’admettre que la raison et la tradition puissent ensemble et d’accord défendre la même citadelle ; dès que l’une entre, il faut que l’autre sorte ; désormais un préjugé s’est établi contre le préjugé. — À la vérité, Voltaire « le patriarche ne veut pas se départir de son Dieu rémunérateur et vengeur[1] » :

  1. Voltaire, Dictionnaire Philosophique, article Religion. « Si vous avez une bourgade à gouverner, il faut qu’elle ait une religion. »