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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/79

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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


ce compte aucun homme un peu fier et bien élevé ne voudra de nos charges et que nos chefs devront avoir un caractère de laquais. Nous ne leur laissons pas la liberté de refuser ou d’accepter un office ; nous les en chargeons d’autorité. « Dans toute véritable démocratie, la magistrature n’est pas un avantage, mais une charge onéreuse, qu’on ne peut justement imposer à un particulier plutôt qu’à un autre. » Nous mettons la main sur nos magistrats ; nous les prenons au collet pour les asseoir sur leurs sièges. De gré ou de force, ils sont les corvéables de l’État, plus disgraciés qu’un valet ou un manœuvre, puisque le manœuvre travaille à conditions débattues et que le valet chassé peut réclamer ses huit jours. Sitôt que le gouvernement sort de cette humble attitude, il usurpe, et les constitutions vont proclamer qu’en ce cas l’insurrection est non seulement le plus saint des droits, mais encore le premier des devoirs. — Là-dessus la pratique accompagne la théorie, et le dogme de la souveraineté du peuple, interprété par la foule, va produire la parfaite anarchie, jusqu’au moment où, interprété par les chefs, il produira le despotisme parfait.

IV

Car la théorie a deux faces, et, tandis que d’un côté elle conduit à la démolition perpétuelle du gouvernement, elle aboutit de l’autre à la dictature illimitée de l’État. Le nouveau contrat n’est point un pacte historique, comme la Déclaration des Droits de 1688 en Angleterre,

  anc. rég. ii.
T. II. — 5