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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/267

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LES GOUVERNÉS


va commencer ; des gendarmes, poussant leurs chevaux au galop, dispersent les groupes trop épais ; « des scélérats, aux appointements de la Commune », font ranger les femmes en file, et, deux à deux, « grelottantes », dans l’aube froide de décembre ou de janvier, chacune attend que son tour vienne. Mais, au préalable[1], en vertu de la loi, le boucher prélève la part des hôpitaux, des femmes grosses, des accouchées, des nourrices, et, de plus, malgré la loi, il prélève une autre part pour le comité révolutionnaire de sa section, pour le commissaire assistant et surveillant, pour les pachas et demi-pachas du quartier, enfin pour les clients riches qui le surpayent. À cet effet, « des portefaix, formant de leurs larges épaules un rempart impénétrable devant la boutique, enlèvent des bœufs entiers » ; eux servis, les femmes trouvent l’étal dégarni, et beaucoup, « après s’être morfondues quatre heures durant », doivent s’en retourner les mains vides. — Devant cette perspective, les attroupements quotidiens s’alarment et deviennent houleux ; personne, sauf les premiers en ligne, n’est sûr d’avoir sa pitance ; celui qui est derrière regarde envieusement, avec une

  1. Schmidt, Tableaux de la Révolution française, II, 155 (Rapports du 25 ventôse). — Dauban, 188 (Rapports du 19 ventôse). — Ib., 69 (Rapports du 2 ventôse). — Ib., 126 (Rapports du 10 ventôse). — Archives nationales, F7, 31167 (Rapports du 28 nivôse an II). Les femmes crient « contre les bouchers et les charcutiers qui ne respectent nullement la loi du maximum et ne donnent aux pauvres que la viande inférieure ». — Ib. (Rapports du 6 nivôse) : « Il est affreux de voir ce que les bouchers donnent au peuple. »