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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/268

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LA RÉVOLUTION


colère sourde, celui qui est devant. Des cris s’élèvent, puis des injures et des rixes ; les femmes[1] luttent avec les hommes de gros mots et de poussées ; on se bouscule. Tout d’un coup la queue se rompt ; chacun fonce en avant ; aux plus robustes et aux plus brutaux, la première place ; pour la prendre, il n’y a qu’à marcher sur ses voisins.

Coups de poing tous les jours[2] : quand un rassemblement reste tranquille, les observateurs en font la remarque. À l’ordinaire, « on se bat[3], on s’arrache le pain des mains ; ceux qui n’en peuvent avoir forcent celui qui en a un de quatre livres à le partager en plusieurs morceaux. Les femmes poussent des cris déchirants… Les enfants, envoyés par leurs parents, sont battus » ; les faibles sont jetés dans le ruisseau. « Dans la distribution des moindres denrées[4], c’est la force qui décide », la force des reins et des bras ; « plusieurs femmes, ce matin, écrit l’agent, ont failli

  1. Mercier, ib., 353 : « Les femmes luttèrent de force contre les hommes, contractèrent l’habitude de jurer… Les derniers de la file surent se faufiler au premier rang. » — Buchez et Roux, XXVIII, 364 (Journal de la Montagne, 28 juillet 1793) : « Un citoyen a été tué, dimanche 21 juillet, rue des Gravilliers, en défendant un pain de six livres qu’il venait de se procurer pour lui et sa famille. Un autre a eu le bras coupé, le même jour, dans la rue Froid-Manteau. Une femme enceinte a été blessée, son enfant a été étouffé dans son sein. »
  2. Dauban, 256 (Rapports du 27 ventôse). Marché du faubourg Saint-Antoine : « On ne se f… pas de coups de poing depuis deux ou trois jours ».
  3. Archives des affaires étrangères, tome 1410 (Rapports du 6 au 7 août 1793).
  4. Dauban, 144 (Rapports du 13 ventôse).