Aller au contenu

Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
305
LES GOUVERNÉS


les brutalités de la force et les scandales de la licence. Le 9 Thermidor, il y a déjà dix-sept mois que le piétinement quotidien de la multitude à la poursuite des vivres dure sans interruption, et, après le 9 Thermidor, le même piétinement va durer encore sans interruption pendant vingt-deux mois, avec des désordres pires, parce que la terreur et la soumission sont moindres, avec un acharnement plus âpre ; parce que les denrées du commerce libre sont plus chères, avec des privations plus grandes ; parce que la ration distribuée est plus courte, avec un désespoir plus sombre ; parce que chaque ménage, ayant mangé ses ressources privées, n’a plus rien pour s’aider lui-même et suppléer à l’insuffisance de l’aumône publique. — Pour comble, il fait si froid[1], pendant l’hiver de 1794 à 1795, que la Seine gèle ; on la traverse à pied ; les trains flottants n’arrivent plus ; il faut, pour avoir des bûches et des fagots, « couper les bois de Boulogne, de Vincennes, de Verrières, de Saint-Cloud, de Meudon et les autres de la banlieue »… « 400 francs la corde de bois, 50 sous un boisseau de charbon, 20 sous un petit coffret… On voit des nécessiteux scier dans les rues leur bois de lit pour faire cuire leurs aliments et s’empêcher de mourir de froid ». Quand l’arrivage par eau recommence au milieu des glaçons, « le bois flotté se vend à mesure que les débardeurs le tirent de la rivière, et

  1. Mercier, Paris pendant la Révolution, I, 355-357. — Schmidt, Pariser Zustände, I, 224. (La Seine gèle le 31 décembre, et le 23 janvier il y a 16 degrés de froid.) — Schmidt, Tableaux de Paris (Rapports de police des 2, 3 et 4 pluviôse).


  la révolution, vi.
T. VIII. — 20