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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/310

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LA RÉVOLUTION


« on est obligé de passer trois nuits au port pour en obtenir à son tour, par numéro ». — « Il y a 2000 personnes au moins le 3 pluviôse au port Louviers », chacune avec une carte qui lui promet 4 bûches, moyennant 15 sous : par suite, presse, tumulte, bousculades, irruption ; « les marchands prennent la fuite de peur ; les inspecteurs manquent d’être assassinés », ils se sauvent avec le commissaire de police, et « le public se sert lui-même ». Le lendemain aussi, « pillage abominable » ; des gendarmes et des canonniers, placés là pour maintenir le bon ordre, « se précipitent sur le bois et en emportent, comme la foule ». Notez que ce jour-là le froid est de 16 degrés, que cent, deux cents autres queues le subissent en même temps à la porte des boulangers et des bouchers, qu’elles l’ont subi ou vont le subir pendant un mois et davantage : la parole ne suffit pas pour rendre ce qu’ont dû souffrir ces longues lignes de corps immobiles, la nuit, au petit jour, cinq ou six heures durant, sous la bise qui traverse leurs guenilles et gèle leurs pieds endoloris. — Ventôse commence, et la ration de pain est réduite à une livre et demie[1]. Ventôse finit, et la ration de pain,

  1. Schmidt, Pariser Zustände, I, 228 et suivantes. (Réduction de la distribution de pain à une livre et demie par personne, 25 février ; à une livre et demie pour les travailleurs, et à une livre pour les autres, 17 mars. — Réduction finale à un quart de livre, 31 mars.) — Ib., 251, pour les quotités ultérieures. — Dufort de Cheverny (Mémoires manuscrits, avril 1795). M. de Cheverny vient loger au vieux Louvre chez son ami Sedaine : « Je les avais secourus en victuailles le plus qu’il m’avait été possible ; ils m’avouèrent que, sans cela, malgré leur aisance, ils seraient morts de faim. »