Aller au contenu

Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
NAPOLÉON BONAPARTE


« cessent d’êtres libres dans leurs pensées et dans leurs expressions, qu’ils ne peuvent être que les organes des siennes, que, pour eux, la trahison a déjà commencé quand ils se permettent de douter, qu’elle est complète lorsque du doute ils vont jusqu’au dissentiment ». — Si, contre ses empiétements continus, ils tâchent de se réserver un dernier asile, s’ils refusent de lui livrer leur for intérieur, leur foi de catholique ou leur honneur d’honnête homme, il s’étonne et s’irrite. À l’évêque de Gand, qui, avec les soumissions les plus respectueuses, s’excuse de ne pas prêter un second serment contraire à sa conscience, il répond rudement[1] en tournant le dos : « Eh bien ! monsieur, votre conscience n’est qu’une sotte ! » — Portalis[2], directeur de la librairie, ayant reçu de son cousin l’abbé d’Astros communication d’un bref du pape, n’a point abusé de cette confidence, strictement privée ; il a seulement recommandé à son cousin de tenir cette pièce très secrète et lui a déclaré que, si elle devenait publique, il en prohiberait la circulation ; par surcroît de précaution, il est allé avertir le préfet de police. Mais il n’a point dénoncé son cousin nominativement ; il n’a point fait arrêter l’homme et saisir la pièce. Là-dessus, l’Empereur, en plein Conseil d’État, l’apostrophe en face : « avec ces regards qui traversent la tête[3] », il lui

  1. Comte d’Haussonville, l’Église romaine et le premier Empire, IV, 190 et passim.
  2. Ib., III, 460 à 473. — Cf. sur la même scène Souvenirs inédits du chancelier Pasquier. (Il y était témoin et acteur.)
  3. Mot de Cambacérès. (M. de La Valette, II, 154.)