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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 9, 1904.djvu/42

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LE RÉGIME MODERNE


Toutes les idées qu’il en a ont eu pour source des observations que lui-même il a faites, et ont pour contrôle des observations que lui-même il fait.

Si les livres lui ont servi, c’est pour lui suggérer des questions, et à ces questions il ne répond jamais que par son expérience propre. Il a peu lu et précipitamment[1] ; son instruction classique est rudimentaire ; en fait de latin, il n’a pas dépassé la quatrième. À l’École militaire, comme à Brienne, l’enseignement qu’il a reçu était au-dessous du médiocre ; et dès Brienne on constatait que, « pour les langues et les belles-lettres, il a n’avait aucune disposition ». Ensuite la littérature élégante et savante, la philosophie de cabinet et de salon, dont ses contemporains sont imbus, a glissé sur son

  1. Mme de Rémusat, I, 115 : « Au fond, il est ignorant, n’ayant que très peu lu, et toujours avec précipitation. » — Stendhal, Mémoires sur Napoléon : « Son éducation avait été fort incomplète… Il ignorait la plupart des grandes vérités découvertes depuis cent ans », et précisément celles qui concernent l’homme ou la société. « Par exemple, il n’avait pas lu Montesquieu comme il faut le lire, c’est-à-dire de façon à accepter ou à rejeter nettement chacun des trente et un livres de l’Esprit des lois. Il n’avait point lu ainsi le Dictionnaire de Bayle, ni le Traité des richesses d’Adam Smith. On ne s’apercevait point de cette ignorance de l’Empereur dans la conversation : d’abord, il dirigeait cette conversation ; ensuite, avec une finesse italienne, jamais une question ou une supposition étourdie ne venait trahir cette ignorance. » — Bourrienne, I, 19, 21. À Brienne, « malheureusement pour nous, les moines auxquels était confiée l’éducation de la jeunesse ne savaient rien, et ils étaient trop pauvres pour payer de bons maîtres étrangers… On ne conçoit pas comment il a pu sortir un seul homme capable de cette maison d’éducation. » — Yung, I, 125 (Notes sur Bonaparte au sortir de l’École militaire) : « Très appliqué aux sciences abstraites, peu curieux des autres, connaissant à fond les mathématiques et la géographie. »