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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/101

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petite propriété est répandue, et Murat avait fait des lois dans ce sens ; aussi en plusieurs points on commence aujourd’hui à aliéner et diviser les terres du domaine. Joignez à cela les biens de mainmorte dont on parlait tout à l’heure, et remarquez en outre que les capitaux étrangers arrivent, que des manufactures se fondent, que les journaux se répandent, qu’un Napolitain, expérience faite, apprend à lire et à écrire en trois mois ; il n’y a pas de race plus fine, plus prompte à saisir et à deviner toutes les idées. Le paysan enrichi et éclairé deviendra libéral.

Une des personnes présentes conte l’entretien qu’elle a eu récemment avec un soldat. Ce soldat avait servi sous les Bourbons ; quand Garibaldi débarqua avec sa petite troupe, le bruit courut qu’il amenait soixante mille hommes ; là-dessus, avec la permission de leur capitaine, les soldats de la compagnie posèrent leur fusil et s’en allèrent chacun chez soi fort tranquillement. Victor-Emmanuel proclamé, notre ami retrouve son homme exempté comme vétéran, lui fait honte, le désigne, en sorte qu’il est repris, bien malgré lui, pour le service. Au bout d’un an, nouvelle rencontre ; cette fois l’homme est enchanté, plein de reconnaissance, il a une tournure martiale. « Ah ! Excellence, que je suis content ! J’ai vu Milan, Turin, toutes sortes de villes ; j’ai appris à lire. — Et à écrire ? — Pas encore très-bien, mais j’écris mon nom. — Tiens, voici une piastre ; quand tu sauras écrire, tu en auras une autre. » Voilà un homme transformé par la vie militaire ; elle leur donne des habitudes de discipline, de propreté, le sentiment de l’honneur, de la patrie. Notre ami disait à l’un d’eux : « Vous allez vous battre pour le roi. — Non,