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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/123

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Le ciel est aussi beau qu’en juin, chaud et splendide. Les montagnes, deux côtés, sont d’un bleu simple et grave[1], et s’ordonnent les unes derrière, les autres en amphithéâtre, comme pour le plaisir des yeux. L’air, épaissi par la distance, pose un superbe vêtement éclatant et diaphane sur ces grands corps, et au-dessus d’eux des nuages paisibles étagent leurs volutes de neige.

Il a plu violemment la veille, et des travailleurs de toute espèce déblayent la route, défoncée par les torrents. Pour la première fois, voici des femmes vraiment belles : elles sont en guenilles, et on ne les toucherait pas avec des gants ; mais à dix pas elles ressemblent à des statues. À force de porter l’eau, le mortier, tous les fardeaux sur leur tête, elles ont pris l’attitude droite, la démarche noble d’une canéphore. Un épais linge blanc leur couvre la tête et, retombant des deux côtés, les protège contre le soleil. Dans cette blancheur, la chaude couleur de la peau, les yeux noirs, sont d’un éclat admirable. Plusieurs ont des traits réguliers ; une d’elles, un peu pâle, est aussi fine qu’une figure de Vinci. La chemise se chiffonne autour du cou, au-dessus du corset, et semble faite exprès pour la peinture ; la jupe tombe en tuyaux naturellement, parce que le corps se tient droit.

À mesure que le soir approche, les montagnes étagées à l’Orient deviennent plus belles. Elles ne sont point trop proches ni trop grandes, accablantes comme les Pyrénées, tristes comme les Cévennes. Entre elles s’étend une large campagne fertile, elles sont toutes

  1. Cæruleus.