Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/149

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articulés. Son cheval est d’une forte et solide espèce, encore parente des chevaux du Parthénon. Aujourd’hui, après dix-huit cents ans de culture, les deux races, l’homme et le cheval, se sont affinées ; ils arrivent à l’air distingué. — À droite, dans le palais des conservateurs, est un superbe César de marbre, en cuirasse ; sa pose n’est pas moins virile et naturelle. Les anciens ne faisaient point cas de cette délicatesse à demi féminine, de cette sensibilité nerveuse que nous appelons la distinction et qui nous plaît tant. Aujourd’hui, à un homme distingué il faut un salon ; il est dilettante, il parle bien aux femmes ; quoique capable d’enthousiasme, il est enclin au scepticisme ; sa politesse est exquise, il n’aime pas les mains sales et les mauvaises odeurs ; il ne veut pas qu’on le confonde avec le vulgaire. Alcibiade ne craignait pas d’être confondu avec le vulgaire.

Un colosse énorme écroulé a laissé là ses pieds, ses doigts, sa tête de marbre ; les fragments gisent dans la cour entre les colonnes. Mais ce qui frappe le plus, ce sont des rois barbares de marbre noirâtre, énergiques et tristes dans leur grande draperie. Ce sont les captifs de Rome, les vaincus du Nord, tels qu’ils paraissaient derrière le char de triomphe pour finir par la hache au sortir du Capitole.

On ne fait point un pas sans apercevoir un trait nouveau de la vie antique. En face, dans la cour du musée, s’étale une large statue de fleuve au-dessus d’une fontaine, un puissant torse païen qui sommeille à demi nu sous sa chevelure épaisse, dans sa grande barbe de dieu viril et qui jouit de la vie naturelle. Au-dessus, le restaurateur du musée, Clément XII, a placé son charmant petit buste, une fine tête creusée, méditative, de poli-