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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/152

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pour la représenter ; elle n’est là que pour lier le groupe. On passe d’une belle jeune femme vêtue à un beau jeune homme nu, puis à un beau vieillard assis : voilà toute l’intention de l’artiste. On a du plaisir à voir un corps penché, puis un bras levé, puis un tronc fermement assis sur les deux cuisses.

Il est certain que cela est à une distance immense de nos habitudes. Si nous sommes préparés aujourd’hui pour un art, ce n’est pas pour la statuaire, ni même pour la grande peinture, mais tout au plus pour la peinture de paysage ou de mœurs, et bien plus encore pour le roman, la poésie et la musique.

Puisque j’ose parler sans marchander et dire les choses comme je les sens, mon avis décidé est que le grand changement de l’histoire est l’avènement du pantalon : tous les barbares du Nord le portent déjà dans les statues ; il marque le passage de la civilisation grecque et romaine à la moderne. — Ceci n’est point une boutade ni un paradoxe ; rien de plus difficile à changer qu’une habitude universelle et journalière. Pour déshabiller et rhabiller l’homme, il faut le démolir et le refondre. Le trait propre de la renaissance, c’est l’abandon de la grande épée à deux mains et de l’armure complète ; le pourpoint à crevés, la toque, la culotte collante, montrent alors le passage de la vie féodale à la vie de cour. Il a fallu la révolution française pour nous faire quitter l’épée et la culotte à mollets ; c’est que le plébéien, homme d’affaires et crotté, avec ses bottes, son pantalon, sa redingote, remplace encore le courtisan à talons rouges, le beau parleur brodé d’antichambre. — De même le nu est une invention des Grecs. Les Lacédémoniens l’ont trouvé en même temps