Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le siècle des grandes lorettes ; celle-ci avait la déraison, l’emportement, la sensibilité, la férocité de l’espèce. C’est elle qui, attendrie un jour par l’éloquence d’un accusé, se retire pour essuyer ses larmes, et auparavant recommande à son mari de ne pas le laisser échapper.

Vespasien : un homme fort, bien assis sur des facultés complètes, prêt à tout accident, avisé, digne d’être pape à la renaissance.

Voyez encore dans l’autre salle un buste de Trajan, impérialement grandiose et redoutable ; l’emphase et la fierté espagnole y éclatent. Il faudrait lire ici l’Histoire Auguste ; ces bustes sont plus parlants que les mauvais chroniqueurs qui nous restent. Chacun d’eux est l’abrégé d’un caractère, et grâce au talent du sculpteur qui efface les accidents, qui supprime les particularités indifférentes, on voit à l’instant ce caractère.

À partir des Antonins, l’art se gâte visiblement. Beaucoup de statues et de bustes sont comiques sans le vouloir, d’un comique déplaisant ou même odieux, comme si l’on avait copié la grimace d’une vieille femme étique, le tressaillement d’un homme usé, les expressions basses et douloureuses d’une machine nerveuse détraquée. La sculpture ressemble à la photosculpture ; elle approche de la caricature dans telle grande statue de femme au torse nu, la tête rechignée, coiffée de bouffantes postiches…

Pendant qu’on suit son rêve et que l’on converse intérieurement avec tous ces vivants de pierre, on entend autour de soi bruire et chanter l’eau qui sort par la gueule des lions, et à chaque tournant des galeries on aperçoit un morceau de paysage, tantôt un grand pan de mur noirâtre au-dessus duquel brille un oranger,