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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/156

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tantôt un vaste escalier où pendent des herbes grimpantes, tantôt le pêle-mêle des toits, des tours, des terrasses, et l’énorme Colisée à l’horizon…

Je ne veux plus rien voir aujourd’hui ; pourtant est-ce qu’il est possible de ne pas entrer dans la galerie voisine, sachant qu’elle renferme l’Enlèvement d’Europe de Véronèse ? Il y en a un autre à Venise ; mais celui-ci, tel que le voilà, met la joie au cœur. Les gravures n’en donnent pas l’idée, il faut voir l’ample et florissante servante dans sa robe d’un glauque foncé, qui se penche pour attacher le bracelet de sa maîtresse, la noble taille, le geste calme de la jeune fille qui tend le bras vers la couronne apportée par les Amours, la joie et la volupté délicieuse qui s’exhalent de ces yeux riants, de ces belles formes épanouies, de cet éclat et de cet accord de couleurs fondues. Europe est assise sur la plus magnifique étoffe de soie jaune et dorée, rayée de noir ; sa jupe, d’un violet pâle et rosé, laisse sortir son pied de neige ; la chemise froncée encadre la molle rondeur de la gorge ; ses yeux noyés regardent vaguement les enfants qui jouent dans l’air ; au bras, au cou, aux oreilles, chatoient des perles blanches.

Le Forum est à deux pas ; on y descend et on s’y repose. Le ciel était d’une pureté parfaite ; les lignes nettes des murs, les vieilles arcades en ruine, posées les unes sur les autres, se détachaient sur l’azur comme si elles eussent été marquées avec le plus fin crayon ; on prenait plaisir à les suivre, à revenir, à les suivre encore. La forme, dans cet air limpide, a sa beauté par elle-même, indépendamment de l’expression et de la couleur, comme un cercle, un ovale, une courbe réussie sur un fond clair. Peu à peu l’azur est devenu pres-