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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/176

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vastes bâtiments indiquent toujours quelque excès semblable, une concentration et une accumulation démesurée du labeur humain. Voyez les cathédrales gothiques et les pyramides d’Égypte, Paris contemporain et les docks de Londres.

Au bout d’une longue file de ruelles, de murailles blanches, de jardins déserts, apparaît la grande ruine. Sa forme ne peut se comparer à rien, et la ligne qu’elle découpe dans le ciel est unique. Ni les montagnes, ni les collines, ni les édifices, ni les œuvres naturelles, ni les œuvres humaines n’en donnent l’idée ; elle ressemble à tout cela : c’est une œuvre humaine que le temps et les accidents ont déformée et transformée jusqu’à la rendre naturelle. Au milieu de l’air, sa cime de bosselures émoussées, sa crête labourée de larges vides, sa masse rougeâtre morne et morte tourne silencieusement sur un linceul de grands nuages.

Ou entre, et il me semble qu’on n’a rien vu au monde d’aussi grand ; le Colisée lui-même n’en approche pas, tant la multiplicité et l’irrégularité des débris ajoutent encore à l’énormité de l’énorme enceinte. Devant ces monceaux de briques roussies et rongées, devant ces voûtes rondes élancées comme les arches d’un grand pont, devant ces môles croulants, on se demande s’il n’y a point eu là une ville entière. Souvent une voûte est tombée, et le massif monstrueux qui la soutenait se dresse encore dans l’air, avec un reste d’escalier, avec un fragment d’arcade, épais comme une maison, ventru et difforme. Parfois il est fendu par le milieu, et il semble qu’un pan va se détacher, rouler comme une roche. Des parois de mur, des morceaux de voûtes fléchissantes s’y sont collés, et les saillies menacent, ex-