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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/200

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est transfigurée jusqu’à paraître belle, comme les vieillards des Champs-Élysées dans Virgile. De l’autre côté, une douce jeune femme, dans la fleur de l’âge, s’assied, et le contour arrondi de son visage exprime la plus parfaite bonté tranquille.

Me voici enfin revenu au Vatican, et toutes mes impressions changent : je me suis mis au point de vue ; ce qui paraissait froideur ou recherche est justement ce qui fait plaisir. Il y a un germe dont le reste n’est que le développement, c’est le beau corps bien portant, solidement et simplement peint dans une attitude qui manifeste la force et la perfection de sa structure ; c’est cela seul qu’il faut chercher ; les autres parties de l’art sont subordonnées. Le tableau est comme une phrase musicale bien rhythmée où chaque son est pur, et que la passion dramatique n’altère jamais au point d’y introduire une dissonance ou un vrai cri. À ce titre, tel geste qui semble apprêté est beau comme un accord ample et juste ; je n’ai qu’à le prendre en lui-même, abstraction faite du sujet et de la vraisemblance, et mes yeux en jouiront comme mon oreille jouit d’un chant plein et doux.

Tout ce peuple de figures parle maintenant, et ne parle que trop haut. Il y en a trop, on ne peut plus décrire. Je te dirai seulement ce qui m’est resté le plus vif dans le souvenir : d’abord les loges du Vatican, et dans les loges ce grand lutteur qu’on appelle Dieu le Père, et qui d’un bond étalant ses membres franchit les ténèbres ; le dos cambré d’Ève cueillant la pomme, sa tête charmante, les vigoureux muscles de ce jeune corps tordu sur ses hanches, tous ces personnages d’une structure si forte et d’un mouvement si libre ; ensuite les cariatides blanches de la salle d’Héliodore, simples