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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/208

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est une fête pour les yeux ; une Mise au tombeau du Caravage, pleine de figures et de gestes copiés sur le vif, vigoureux portefaix aux jambes sillonnées de varices, jeunes femmes penchées qui s’essuient les yeux et pleurent avec la sincérité de la vive jeunesse. Aujourd’hui, ce que j’ai le mieux senti, c’est une Sainte Catherine de Murillo, d’un attrait troublant et étrange. Sa beauté est dangereuse ; dans son regard oblique, dans ses yeux noirs baissés luit une ardeur secrète ; quel contraste entre ce teint de fleur méridionale et cette flamme ! quelle amoureuse et quelle béate ! Dans les peintures de Raphaël, l’immobilité de la couleur fanée et de l’attitude sculpturale ôte aux yeux une portion de leur vie. Au contraire, le coloris espagnol est frémissant ; les sensualités inconnues de l’âme ardente, les palpitations brusques des émotions fugitives et véhémentes, le tressaillement des nerfs emportés jusqu’à la volupté et l’extase, la force et les flamboiements de l’incendie intérieur couvent dans cette chair illuminée par l’intensité de sa propre vie, dans ces tons roses noyés de noirceurs vagues.

L’Enfant prodigue, tout à côté, est si douloureusement suppliant ! L’Espagnol est d’une autre race que l’Italien, bien moins équilibrée, bien moins enfermée dans l’enceinte régulière du beau, emportée jusqu’à l’expression de l’idée crue ou de la palpitation intérieure, à travers le sacrifice de la forme.

Je revois la Madone de Foligno de Raphaël, et je me confirme dans cette idée que cette peinture est d’un autre âge ; il faut à un moderne une préparation pour la comprendre. Quels sentiments habituels et non appris l’intéresseront aux muscles des deux petits anges nus,