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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/213

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celui de la force ; dans toute école on découvre d’abord le type sérieux et simple ; on ne le rend séduisant et délicieux que plus tard. — Titien est au centre, également muni du côté de la sensualité et du côté de l’énergie. Dans une belle campagne italienne qui s’enfonce en lointains bleuâtres, près d’une fontaine dont le petit Amour verse de l’eau, sa Calisto tombe violemment dépouillée par les nymphes ; rien de mignon ni d’agréablement épicurien dans cette audacieuse peinture. Les nymphes font brutalement leur office, en femmes du peuple qui ont les bras forts. Une surtout, debout, au superbe torse presque masculin, est une commère capable de battre un homme. Une autre, avec une malice crue de femme experte, courbe en deux la pauvre coupable afin de voir plus tôt les marques de son malheur. Mais dans son autre tableau, la Vanité nue sur un lit blanc avec un sceptre et une couronne, onduleuse et fine, d’une mollesse enivrante, est la plus attrayante maîtresse qu’un patricien puisse orner de sa pourpre et servir le soir comme une fête à la sensualité exquise de ses regards expérimentés. — Véronèse vient le dernier, un décorateur, exempt des rudesses viriles et gigantesques où souvent Titien s’emporte, le plus savant de tous dans l’art de distiller et de combiner les plaisirs que la pure couleur, par ses oppositions, ses dégradations, ses mélanges, peut donner aux yeux. Son tableau représente une femme occupée à se coiffer devant un miroir que tient un petit Amour. Un rideau violet avive de ses teintes passées la belle chair encadrée dans un linge. Un petit rebord ployé pose sa guimpe délicate sur la mollesse ambrée de la poitrine. Les cheveux roussâtres se retroussent en frisons sur le